Déshonorée ?

D’ici et d’ailleurs, 109
Montreuil, 30 mai 2025

Pour que la honte change de camp. Pendant deux ou trois semaines, un beau portrait de Gisèle Pélicot s’imprimait graphé au pochoir, à l’entrée de la rue de l’église, avec l’injonction que le procès de ses agresseurs a définitivement imposée. Ce matin, le portrait et son slogan étaient recouverts de peinture blanche. De l’autre côté de la rue, les affiches collées sur le mural de la maison des femmes, elles, donnaient toujours les infos d’urgence pour les femmes victimes de violences sexuelles et sexistes.

Quatre cent dix ans avant le procès des viols de Mazan, à Rome, Artemisia Gentileschi peint Suzanne et les vieillards, l’histoire d’une jeune fille qui refuse les avances de deux vieillards lubriques – ils la menacent de mort – elle y échappe de justesse.  Artemisia a dix-sept ans.
Peu après, le peintre Agostino Tassi viole Artemisia.
Le père d’Artemisia porte plainte.
Un an plus tard, au cours du procès – procès inique, où Artemisia est a priori soupçonnée de mentir, elle témoigne :
…il resta sur moi un long moment en maintenant son membre dans ma nature, et quand il eut son fait, il se retira. Me voyant libérée, je me précipitai vers le tiroir de la table, je pris un couteau et je marchai sur Agostino en disant : « je veux te tuer avec ce couteau puisque tu m’as déshonorée ! « 
Artemisia ne tue pas Agostino.
Pendant le procès, elle subit la torture, histoire de prouver qu’elle ne ment pas. Elle tient bon.
Agostino est condamné, et Artemisia, mariée de force par son père à un quidam qu’elle n’aime pas.

Artemisia ne tue ni son violeur, ni son père, ni son mari : elle continue à peindre. Elle peint Suzanne encore et encore, et aussi Judith, encore et encore – Judith armée d’un glaive, et Yaël armée d’un pieu, qui elles, exécutent d’un seul coup d’un seul, Holopherne et Siséra. Des types qui ne les ont pas violées, mais qu’elles ont de bonnes raisons de tuer quand même, semble-t-il.
Artemisia peint. Exécute. Règle leur compte à des hommes. Artemisia peint tellement mieux que bien des hommes qui peignent alors à Rome, ou à Florence.

La semaine dernière, j’ai vu l’expo Artemisia, héroïne de l’art : il faut aller la voir, car on a rarement l’occasion de rencontrer une telle femme.
Artemisia,
le coup de couteau contre ton agresseur
ton procès
ta résistance à la torture
et le restant de ta vie, ton talent, ou ton génie, qui te venge et sublime le crime subi.
Artemisia, bravo.
Comme on voudrait que toutes celles qui comme toi, aujourd’hui, sont violées, ou violentées, toutes celles qu’on insulte au coin de nos rues, traitées de putes, de salopes, de grognasses, de chiennes – puissent se défendre, s’imposer et s’affranchir, comme toi.

Tu as été déshonorée – ou plutôt, tu as cru l’être. Alors que c’est ton violeur qui s’est déshonoré. Aujourd’hui encore, trop de femmes (ou d’hommes) victimes  d’agressions sexuelles sont – se sentent déshonoré.e.s  : honte à ceux qui leur infligent cette honte.

Ce matin, j’ai entendu l’écho des voix des mille, des mille et mille voix de jeunes filles et de fillettes qui d’une banlieue à l’autre, résonnent avec celles de Suzanne, d’Artemisia ou de Gisèle. À la fin de la vraiment super expo Banlieues chéries, les jeunes visiteurs-visiteuses sont invité.e.s à remplir un petit billet : Dans ma banlieue rêvée, je peux…
Les bulletins sont affichés au mur, en très grand nombre. Beaucoup de filles les ont remplis. Florilège :
– que personne ait peur de sortir peu importe l’heure, Léna de Bagnolet
– sortir en SÉCURITÉ sans craindre d’être agressée, Sce de Genevilliers
– vivre… sans qu’une fille soit violée dans une « tournante » la faisant passer pour une allumeuse, Ghofrane de Nanterre
– rentrer tard le soir sans devoir regarder derrière moi par peur d’être agressée, Maëlle de Strasbourg
– M’habiller comme je veux sortir comme je veux aimer comme je veux, Laura de Choisy le Roi
– marcher en tant qu’individu et non en tant que femme convoitée, Hynd de Créteil….

Courage, Hyndt, Laura, Maëlle, Ghofrane, Sce, Lena, et toutes les autres.

2 commentaires sur « Déshonorée ? »

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