Werenoi – l’âme des poètes

D’ici et d’ailleurs, 108
Montreuil, 20 mai 2025

Le rappeur Werenoi est mort brutalement samedi dernier, à 31 ans. Werenoi est un rappeur de Montreuil. De la cité Jean Moulin, même.
Aujourd’hui, on l’enterrait.

Du parc des Beaumonts, on voit tout Paris, et derrière un haut rideau d’arbres, on aperçoit le nouveau cimetière : sur les pentes, il y a d’un côté le carré gitan, avec ses splendides mausolées, et de l’autre, le carré juif – ils surplombent un peu le reste des tombes. Tout au fond, juste à côté du collège et de la cité Jean Moulin, il y a le carré musulman.

Vers 15 heures, la police barre le rond-point devant l’entrée principale du cimetière.
Du quartier des Murs à Pêche, de Bel-Air, de la Mairie et de l’avenue Jean Moulin, des groupes de jeunes se hâtent lentement.
Devant l’entrée du nouveau cimetière, une foule dense attend. Beaucoup de jeunes hommes.
Le service d’ordre a déjà fait entrer pas mal de monde – des proches, des officiels, des célébrités, mais on en attend encore beaucoup d’autres. Quelques voitures arrivent, on les fait entrer.
Il paraît que la cérémonie vient de s’achever à la mosquée de Rosny. Maintenant, le service d’ordre fait entrer au compte-gouttes des collaborateurs, des amis d’amis, des potes – tout le monde se connait – tout le monde est calme, déférent.
Au bout d’une heure, on commence à faire entrer les gens ordinaires, et avec un flot de gens, je passe de l’autre côté de la grille.

Les femmes, ou plutôt les jeunes filles se tiennent en groupes, à l’entrée du cimetière. La plupart d’entre elles portent une abaya et un voile noirs. Elles sont du quartier, elles ont plein d’histoires à se raconter. Au bout d’un moment, l’une d’elles se cache dans une voiture garée là – celle d’un copain proche du défunt – elle n’en peut plus, il faut qu’elle fume sa clope. D’autre filles la rejoignent, l’une après l’autre. Ça les détend un peu.

On attend encore longtemps, sans savoir au juste si la cérémonie a commencé ou pas. Les hommes continuent d’affluer vers le fond du cimetière, et les femmes d’attendre, groupées.
Alors je me risque – je demande à une femme qui a l’air de faire partie du service d’ordre si la cérémonie va bientôt commencer – compatissante, elle me confie à une autre femme, qui embarque du coup deux autres femmes plus âgées, qui attendaient comme moi, assises sur un banc – et nous voilà enfin dans l’allée centrale, parmi les hommes, puis aux abords du vaste cercle des personnes recueillies autour de la tombe – la tombe qu’on ne voit pas.
On n’entend rien non plus : dans le silence de la foule et le bruit de la ville, un vague murmure – quelqu’un parle, mais sans micro.

Je m’arrête un instant. Je pense à ce jeune homme qui a fait battre le cœur de milliers et de milliers de jeunes d’ici et d’ailleurs – avec leurs mots, leurs soucis, leurs colères, leurs espoirs, leurs désespoirs, leurs chagrins.
Puis je m’éloigne.
Une femme un peu âgée est là, on se regarde, je luis dis – il est parti si jeune… Elle me répond – c’était son destin – je lui dis – c’est la vie.
Je grimpe un peu, pour quitter le lieu des obsèques : je suis déjà dans le carré juif. De là, je prends une photo. Puis je m’éloigne.
Maintenant, j’entends quelqu’un parler : on a fini par brancher un micro.

Werenoi est un rappeur de Montreuil. Un artiste aussi discret qu’exceptionnel, alors que depuis plus de deux ans, c’est le chanteur qui a vendu le plus de disques en France.
Ses chansons ? Si comme moi, tu n’es plus tout jeune, tu ne les connais pas.
Tu les connais d’autant moins que ce qu’on appelle les « grands médias » ne se sont pas plus intéressés à lui, que lui n’a cherché à raconter sa vie. Mais les jeunes, eux, ils les connaissent toutes. Par cœur.

Aujourd’hui, personne ne chante sur la tombe de Werenoi, personne ne fait entendre sa voix. Il paraît que sa famille, ou ses proches, ou des fans souhaitent interdire sa musique sur les réseaux, en signe de deuil, et au nom de l’islam.
Alors en rentrant à la maison, je me dépêche d’écouter et de lire le plus possible de tes chansons, Werenoi. Pas plus gaies, pas moins captivantes, tout aussi réalistes et entêtantes que celles d’Aristide Bruant, à quelques nuances près.
Dans un coin de ma tête, une voix fredonne un air de Trenet – l’air, précisément, que j’aimerais qu’on entende, à mon enterrement – L’âme des poètes.
L’hommage que je te voue en silence, toi le rappeur-chanteur, mon voisin inconnu.

Longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu
Leurs chansons courent encore dans les rues
La foule les chante un peu distraite en ignorant le nom de l’auteur
Sans savoir pour qui battait son coeur
Parfois on change un mot, une phrase
Et quand on est à court d’idées – On fait la la la la la la
la la la la la lère…

2 commentaires sur « Werenoi – l’âme des poètes »

  1. Bonjour Marie,
    Il y a environ 4 ans,j’ai accompagné une amie au cimetière de Pantin ( un véritable parc à l’américaine) pour les funérailles de la compagne musulmane de son fils, fils que je connais depuis ses 3 ans.
    Deux groupes étaient presents,un à consonnance çhrétienne et silencieux, un autre assez varie avec quelques femmes. et hommes en tenue traditionnelle ,certaines gémissantes.
    Un imam venu pour la circonstance a demandé aux femmes de s’écarter des hommes…les « chrétiennes »n’ont pas bougé….il a éte obligé de faire avec, mécontent.
    Raphaël qui avait prepare un discours ainsi qu’un panneau de photos avec des bougies a pu s’ exprimer .
    Tu as bien fait de t’ avancer,cela a donné du courage a d’autres femmes.
    Belle journée, Odile

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    1. Merci beaucoup de ce témoignage, Odile.
      Cette fois si la plupart des femmes se tenaient à l’entrée du cimetière, en attendant que les hommes aient fini d’assister à la cérémonie, pour pouvoir rejoindre à leur tour le carré musulman, certaines d’entre elles ont été admises à s’approcher du lieu d’inhumation.
      Surtout, les femmes étaient ultra minoritaires lors de ces obsèques, alors que les chansons de W sont semble-t-il écoutées aimées aussi par un public féminin (- en dépit des propos que le rappeur tient sur les femmes – ce que j’ai du mal à m’expliquer).
      bonne soirée! marie

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