Grande Ourse

D’ici et d’ailleurs 91,
Montreuil, samedi 9 septembre 2023

Pour Fabienne,
notre amie partie bien trop tôt.

Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur
Arthur Rimbaud Ma Bohème

Dévaler la rue
passer à l’ombre dans le soleil brûlant dans le silence
au coin de la rue les terrasses jacassent
passer son chemin
longer des murs où pâlissent des clowns déjà anciens des musiciens des animaux sauvages
les enclos où quelques caravanes restent amarrées avant la transhumance
s’assurer un peu plus haut qu’un fouillis d’herbes folles verdit encore
s’arrêter devant cet immeuble qui a poussé le temps d’un été
puis se retourner juste en face sur cette friche que des riverains veulent conserver

Dévaler la rue
retrouver les grappes de parents qui attendent la sortie des classes
se laisser dépasser par les flots de mômes d’ados qui déboulent du collège du lycée Jean Jaurès des écoles Diderot
croiser les jeunes du centre d’aide par le travail en route pour une balade au parc
longer les façades aux volets clos les maisonnette derrière lesquelles se cachent des jardins secrets des rubans de verdure
les vieux murs de guinguois les jeunes immeubles carrés construits aux normes quoi partout des barrières des chantiers
entendre sur la place sonner plus clair la cloche au clocher restauré cet été

Remonter la rue le plus vite possible jusqu’au bois tout là-haut
le cœur battant grimper sous le cagnard au parc des Beaumonts
« réserve d’oiseaux vue sur Paris » dit la promo municipale
marcher encore se laisser doubler cent fois
par les chiens les gens les enfants
humer le parfum du bouc caresser des yeux la vache pie-noir qui broute à l’ombre des ailantes arbres des dieux rois des banlieues
dans le sous-bois chercher en vain une silhouette familière
son sourire ses yeux clairs son rire sa présence
son cœur mon amie notre amie au cœur du quartier

Boucle d’Or ce jour-là voulait se promener dans la forêt
hêtraie chênaie ou pinède qui sait
chemin faisant elle est arrivée à la maison des ours
elle a frappé à la porte – personne ne lui a répondu
alors elle est entrée

Dévaler ta rue
dans les bacs flambant neufs les fleurs fleurissent en vain
marcher marcher je te cherche à l’infinitif
écouter le quartier qui bruit les rires à minuit le rideau de fer tomber
le silence du quartier la nuit marcher encore
ici bien sûr les réverbères la cité cachent les étoiles
alors tendre l’oreille dans la ville déserte désertée
par-dessus les toits les terrasses du quartier
écouter plus attentif qu’un aviateur paumé en plein désert
ce doux frou-frou on ne sait jamais si c’était
nos étoiles au ciel la Grande-Ourse même qui sait
ta robe qui passe et nous frôle légère

Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elle, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire.
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

9 commentaires sur « Grande Ourse »

  1. Quand les ombres écrasées par la chaleur torride d’une journée qui n’en finit plus laissent place , petit à petit, aux couleurs naïves, si réconfortantes d’une rue qui défile dans l’infini du regard…

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