Assomption

D’ici et d’ailleurs 90,
Lézinnes, 15 août 2023

Aujourd’hui, à Tonnerre, Lidl est fermé et Auchan a fermé à midi. Sur le parking du supermarché, pas grand-monde. Avec comme d’habitude, de rares véhicules immatriculés aux Pays-Bas ou en Angleterre : le tourisme est plutôt local, ici, ou inexistant.
Sur les routes entre Lézinnes et Tonnerre ou Ancy-le-Franc, personne.
Au village, on pouvait acheter son pain et son petit gâteau ce matin, et cet après-midi, visiter l’expo-photo présentée tous les ans pour le 15 août, dans le gîte du Moulin. Ailleurs, tout est mort : c’est fête. Enfin, jour férié légal (mais pas chômé), avec cette année un pont par-dessus le marché. Le grand creux de l’été, un trou noir dans le soleil, la torpeur de l’orage qui ne veut pas éclater.

Ce matin, je suis allée faire un tour dans un village voisin, Pacy-sur-Armançon. C’est là qu’avait lieu l’unique messe de la région. Là où se réunissaient les seuls habitants du coin à fêter ce jour archi-vacant, ou du moins, à célébrer ce pourquoi depuis des siècles, dans ce pays, le 15 août est un jour vaqué.
Il faut savoir que pour aller à la messe, dans le Diocèse de l’Yonne (Sens et Auxerre), on doit aller loin. Dans le département (342 359 habitants au dernier recensement), c’est à dire dans le diocèse, il y a 31 paroisses. Et par ici, le 15 août, une messe pour 3 paroisses, qui regroupent chacune environ 25 villages. La messe est donc sensiblement plus rare que les vide-greniers, les concerts champêtres et autres concours de boules.

L’église de Pacy n’est pas particulièrement jolie, tant s’en faut – elle a été reconstruite au début du 19è après un incendie, et elle est coincée entre les maisons, au bout d’une ruelle où se garent les voitures : des gens d’ici, mais aussi des vacanciers dans leurs familles sans doute, venus des quatre coins de la France.

Je suis arrivée vers la fin de l’office : la nef était pleine. Ou plutôt, elle donnait l’impression de l’être, car les fidèles s’étaient distribués sur tous les bancs.
Grande majorité de cheveux blancs, deux ou trois familles avec ados. Et très peu de « gens de couleur », comme on dit ici.

L’assistance est recueillie, chante à pleins poumons sur fond d’harmonium poussif. Je lève les yeux, et soudain je comprends pourquoi, parmi tant et tant de villages et d’églises plus charmantes les unes que les autres aux environs, c’est celle-ci qui a été choisie pour ce faste solennel :
dans le chœur, au-dessus de l’autel, resplendit un vitrail. Portée par des anges, les bras et les yeux levés au ciel, une femme en robe rose et manteau bleu s’envole au-dessus d’une campagne, d’un village… La Vierge de l’Assomption ! Sur la feuille de chants que je ramasse à la sortie, je vois du reste que l’église lui est consacrée : c’est Notre Dame de l’Assomption.

– Assomption… version genrée de l’Ascension (autre jour férié du calendrier chrétien et républicain), il me semble. Le Fils de Dieu est Dieu, certes, et c’est un homme, donc il s’élève tout seul, par l’ascenseur de l’Esprit Saint. Marie, elle, a beau être indispensable au Salut de l’humanité – il fallait bien un ventre humain pour engendrer le Messie – elle n’est qu’une femme, pas une déesse. Juste la mère de Dieu. Alors, elle ne monte pas toute seule là-haut : elle y est aspirée, en quelque sorte, par le Ciel où réside son Seigneur, avec ses anges et tous les saints.

Ici, ce matin, le vitrail prenait tout son sens. Sidérant, tout de même : le dogme de l’Assomption a été proclamé hier – je viens de vérifier – par Pie XII, en 1950 :

Par l’autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul, et par Notre propre autorité, Nous prononçons, déclarons, et définissons comme un dogme divinement révélé que l’Immaculée Mère de Dieu, la Vierge Marie, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire céleste

Alors que ça faisait des siècles et des siècles que la chrétienté croyait à ce miracle, un corps de femme élevé au Ciel avec son âme, dans des variantes multiples (- dormition, enlèvement etc.), une croyance partagée se figeait tout d’un coup en article de foi. Et désormais, un catholique n’a plus le choix : il doit y croire, un point c’est tout.

– La foi ? vers la fin de la cérémonie, un laïque prend la parole et demande aux fidèles de s’engager dans la catéchèse. Car dans la paroisse, cette année, pas un seul enfant n’a demandé à s’inscrire au catéchisme.

Voilà, la messe est finie, les deux célébrants s’avancent dans l’allée centrale. – En les écoutant tout à l’heure, j’avais été étonnée d’entendre qu’ils n’avaient aucun accent, et maintenant, je les regarde passer : ils sont très âgés, et de toute évidence, ils ne viennent ni de Pologne ni d’Afrique francophone, comme les précédents curés des paroisses d’ici, depuis des années.

Pacy sur Armançon

En rentrant, je me renseigne sur internet, et des informations recueillies, je déduis que ces religieux sont bien des prêtres de passage, des amis de familles du coin, sans doute. Car voici ce qu’on peut lire dans la revue Église dans l’Yonne, fin 2022 (- depuis 2019, le diocèse de l’Yonne est jumelé avec celui de Ziguinchor, au Sénégal) :

En accord avec Mgr François Achille Eyabi, évêque d’Eseka (Cameroun),
l’Abbé Pierre-Célestin Titi Ndjock est nommé vicaire décanal pour l’Auxerrois

En accord avec Mgr Antoine Kambanda, archevêque de Kigali (Rwanda),
l’Abbé Avit Barushywanubusa est nommé vicaire décanal pour l’Auxerrois,

Avec l’accord de Mgr Salvator Niciteretse, évêque de Bururi (Burundi),
M. l’Abbé Gervais Godoka est nommé vicaire de la paroisse Saint-Martin-en-Avallonnais,

Avec l’accord de M. l’Abbé Fulgence Coly du Collège des Consulteurs de Ziguinchor (Sénégal)
M. l’Abbé Nicolas Biagui est nommé curé de la paroisse Sainte-Marie-en-Gâtinais
M. l’Abbé Nestor Sadio est nommé modérateur de la paroisse Saint-Pierre-en-Champagne-Sénonaise, et vicaire décanal pour le Sénonais
M. l’Abbé Benoît Sambou est nommé curé des paroisses Saint-Bond et Sainte-Colombe
M. l’Abbé Jean-Michel Tendeng est nommé curé de la paroisse Saint-Louis

Avec l’accord de Mgr Salvator Niciteretse, évêque de Bururi (Burundi),
M. l’Abbé Zacharie Niyonzima est nommé curé de la paroisse Saint-Martin-en-Avallonnais
M. l’Abbé Jean-Marie-Bertrand Bana est nommé curé des paroisses Saint-Éloi-du-Serein et Sainte-Hombeline-en-Bourgogne

– Tiens, la paroisse Sainte-Hombeline (la sœur de Saint Bernard, un gars du coin), c’est celle d’ici, justement ! Quelque part en Bourgogne, au cœur de ce qu’il y reste de la Sainte Église catholique et apostolique.

3 commentaires sur « Assomption »

  1. Visite épatante et inattendue d’une chronique religieuse qui se déphase de plus en plus. Mais racontée avec beaucoup de remarques tendres et de villages à l’heure de l’été. Merci Marie Gautheron.
    Caroline Mangin-Lazarus

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      1. j’avais pour nos enfants une jeune refugiée du benin. elle n’était pas catholique, mais fortement -et très sympa naïvement – évangélicale, departement pentecôte. et ça ne suffisait pas: elle croyait aussi fortement aux éléments et pratiques voodoo.
        quelle jolie « poetical justice » cet re-import irrational de l’afrique en europe après tant d’export européen (et americain) de 50 shades of christianity en afrique…

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