Rafales

D’ici et d’ailleurs 88,
Île de Houat,
Vendredi 14 juillet 2023

Il vente, il vente
C’est le vent de la mer qui nous tourmente

Les marins de Groix, chant

Hier, le maire est venu avertir les campeurs : ne laissez rien traîner autour des tentes, affalez les toiles au besoin, car on annonce des vents de 70 kilomètres-heure pour demain.
Ce matin, de fait, le vent soufflait déjà bien. Et il enfle d’heure en heure.

Sur l’aire d’accueil de Houat (car le bout de lande où campent les estivants n’a pas le droit de se prétendre camping), ce ne sont pas les Rafales supersoniques des Champs Elysées qui occupent les esprits aujourd’hui, encore moins les 26 Rafales vendus à l’Inde, mais les rafales, tout simplement. Ces pointes qui font d’un coup de vent, une tempête. Il y a des moments où ciel et terre semblent faire écho à l’actualité pour mieux la subvertir : rafales du 14 juillet dans la baie de Quiberon, tremblement de terre en juin dans les Deux-Sèvres, à quelques encâblures des Soulèvements de la terre de Sainte-Soline.  

La grande question aujourd’hui à Houat, c’est de savoir si le feu d’artifice aura lieu ce soir ou pas.
– Il aura lieu, a promis le maire, puisque les vents sont ouest-sud-ouest, donc soufflent du bon côté. Pas de danger.
Quand même. On demande à voir.
L’incendie qu’on redoute n’est pas celui qui enflamme les cités, mais le pétard, le feu de détresse égaré qui pourrait incendier la lande, le village ou les campeurs avec.
– Et le bal sur le port alors ? l’association Les Alizées compte bien servir ce soir aux fêtards ses patates-andouillettes…

Sur la place de l’église qui est aussi celle de la mairie, au-dessus du pompon rouge du soldat-matelot, on a hissé le drapeau tricolore. Sur la plaque du monument aux morts, où une croix surplombe la palme du martyre, onze noms : la guerre de 14 – 18 a décimé les quelques familles de l’île. « Aux enfants de Houat morts pour la France ».  En breton, ça se dit Aveit doué hag aveit Frans. Pour Dieu et pour la France.
Pour leur caillou aussi. C’est comme ça qu’on appelle l’île, ici.

Juste derrière le soldat, l’image d’un menhir de Locmariaquer – une photographie de l’expo-photo locale – cette année, elle est dédiée aux mégalithes de la région, et à la relation intime que les habitants entretiennent avec eux. À Houat et Hoëdic aussi, il subsiste de tels monuments funéraires, qui attestent du lien des îliens avec leur terre depuis le néolithique. Ils ont résisté aux rafales millénaires.
Et puis autour d’eux depuis toujours, autour de nous, une armée de rochers géants qui défendent la côte, défient les tempêtes et les marins. Un jour, ils ont vu sombrer une flotte entière : c’est par ici, entre Houat et Hoëdic, que le 20 novembre 1759, par gros temps, dans une formidable bataille navale contre les anglais, la France a perdu l’Acadie, le Canada, et bien d’autres terres encore.

Peu de choses changent ici, d’année en année – en apparence :
– le bourg s’agrandit mais la lande est toujours là, immense, d’un bout à l’autre de l’île, et un ou deux maraîchers qui vaille que vaille, en tirent le meilleur   
– il y a cette année sept embarcations de pêche contre quatre l’an passé – des jeunes se sont installés, et une poissonnerie flambant neuve s’est ouverte sur le port
– les goëlands rapinent toujours chez les campeurs comme ils se ravitaillent aux barques de pêche, mais ils sont chaque année moins nombreux – tandis que de plus en plus apprivoisées, les poules faisanes viennent picorer dans nos mains
– comme toujours, la maréchaussée a débarqué sur l’île le premier juillet. Les gendarmes surveillent les touristes, grands fauteurs de désordre, de pollution et d’incivilités –  mais cette année, un antique débat a été tranché : les feux de plage ont été autorisés sur l’une des plages, Salus – celle qui est à proximité du campement, et où de toute éternité, les jeunes Houatais font des feux avec les campeurs. Et puis la municipalité a pris les devants : toutes les palettes, cagettes et autres combustibles de la déchetterie ont été entassés à proximité du terrain de camping. Et un container à bouteilles a été installé à proximité du campement et de la plage.

L’autre jour – c’était avant le grand débarquement des vacanciers, comme je descendais à Salus, j’ai vu un tableau insolite, une marine – une scène quasi liturgique : une trentaine de personnes bien vêtues se tenaient debout, recueillies autour d’une table dressée sur la plage – elles écoutaient un discours. Personne ne se baignait, ne courait, ni ne s’asseyait dans le sable.
– C’est une réunion du groupe Total, me dit le traiteur (une équipe de Houat) qui débarquait la vaisselle et les plats du festin. Ils font ça de temps en temps.
Et j’ai pensé – marine marchande. Marchandisation de la plage.
Le soir, le mini-raz de marée était remballé.

samedi 15 juillet.

Le maire avait raison. Un coup de Saint Gildas sans doute ( – c’est le patron de l’île, celui qui a traversé l’océan dans son cercueil en granit, entre Houat et Saint Gildas de Rhuys) : vers 20h hier soir, les vents sont tombés, le ciel s’est éclairci, totalement lavé. Au port, on a tiré un formidable feu d’artifice, puis tout le monde a festoyé.
Vers quatre heures du matin, nuages, bruines et vent sont revenus de plus belle, puis les averses, et les rafales.
Elles soufflent toujours.

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