Tous les chemins… promenade romaine

D’ici et d’ailleurs 82,
Rome, 9 mars 2023

…Tous chemins vont à Rome ; ainsi nos concurrents
Crurent pouvoir choisir des sentiers différents.
..
La Fontaine, Le Juge arbitre, l’Hospitalier et le Solitaire.

Tous les chemins mènent à Rome, dit-on.
– Enfin, disait-on de ce côté-ci du monde, du temps de l’antique Via Sacra…

Via della Conciliazione, ça semble encore vrai, tout comme aux abords du Forum ou du Colisée : les pèlerins y viennent de partout, et les magnets hétéroclites qui s’y vendent font écho à leur diversité – entre casques de centurion, Piétas et quéquettes michelangelesques.
Dans les rues comme sur les sites à ne pas manquer, on croise nombre d’ecclésiastiques et de religieux venus de pays qui hier encore, étaient décrétés « terres de mission ».

Et puis il y a les résidents venus des quatre coins du monde travailler ici – en particulier, dans le domaine du tourisme, précisément. Aux abords du Forum, deux agents accueillent les hordes de visiteurs : l’un vient du Nigéria, l’autre, de Porto-Rico. Et le jeune qui vend les cartes postales du Caravage, au fond de Saint Louis des Français, du Sénégal.

Si de nombreux touristes suivent le fanion de leur guide, rares sont ceux qui brandissent la bannière de leur tribu d’origine : au cours de trois jours de pérégrinations à travers la ville, je n’ai croisé qu’un groupe d’impressionnants Alpini (je n’ai pas osé les photographier) près de la Place Saint Pierre, ces Chasseurs alpins italiens qui arborent une longue plume noire sur leur petit chapeau vert en guise de drapeau. Et pas loin de la Piazza Navone, une troupe de soldats du Christ en marche derrière un drapeau tricolore frappé du Sacré-Cœur de Jésus, mariage improbable de ferveur vendéenne et d’adhésion républicaine, devenu semble-t-il depuis peu, en France, l’étendard d’un renouveau catholique traditionnaliste.

Les Français, justement, sont ici chez eux, en bien des lieux et depuis si longtemps. Une chapelle entière leur est particulièrement consacrée dans l’une des églises françaises de Rome, à Saint Louis des Français – oui, celle des Caravage, sans parler de la Villa Médicis ou du Palais Farnèse, le siège de l’Ambassade de France en Italie, et de l’École Française de Rome.
– Le Palazzo Farnese ?
– Hé bien, il est en pleine restauration, et il se pare d’un vrai-faux trompe-l’œil pour séduire le passant. – Ces temps-ci, il arbore les couleurs de l’Ukraine…

Poursuivant ma balade en forme de marabout-de-ficelle, je suis retournée l’autre soir au Airbnb où j’avais échoué la veille, du côté de Termini, et je me suis retrouvée nez à nez avec la plus internationale des italo-slaves aux yeux bleus, icône de Mini-Mix, « L’alimentari dell’Est ».

…Rien d’autre ici, en somme, que ce qui se passe dans toutes les villes cosmopolites du monde. Mais si les chemins du monde ne mènent pas plus à Rome qu’ailleurs, les chemins du temps, eux, semblent s’y croiser à chaque coin de rue. Comme à Cordoue, Istanbul, ou bien d’autres cités, le coucou de la modernité chrétienne se niche ici dans des nids plus anciens – ostensiblement, au Forum par exemple, ou discrètement, dans le temple païen du Panthéon, au fond duquel luit la petite lumière eucharistique – ce qui oblige les messieurs à ôter leur casquette en entrant…
…À quoi rêvent ces étudiants venus d’une banlieue de Rome, qui dessinent la Fontaine des Quatre Fleuves du Bernin, Piazza Navone (une commande pontificale) – et son obélisque rapporté d’Égypte par un empereur romain ?

Craignez, Romains, craignez que le Ciel quelque jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère

La Fontaine, Le paysan du Danube

En prévision de mon vol de retour, ce matin, je m’arrête au kiosque à journaux, au milieu des fiori du Campo dei Fiori : mimosas, mimosas, mimosas.  Un titre attire mon attention, celui de La Stampa, un vieux journal de « centre-droit » : Migranti, governo a Cutro – scontro Salvini-MontovanoMigrants, le gouvernement à Cutro – choc Salvini-Montovano.
– Cutro, vous vous souvenez ? C’est ce coin de Calabre au large duquel 72 migrants au moins sont morts noyés il y a quinze jours. La Stampa consacre 7 pages à la tragédie et à son exploitation politique.
(Montovano, c’est le sous-secrétaire de la première Ministre Giorgia Meloni, qui a récemment disculpé le gouvernement de toute responsabilité. Et Salvini, c’est le bras droit de Giorgia, qui s’était particulièrement illustré comme ministre de l’intérieur en 2019, pour avoir bloqué l’accueil du navire OpenArms et ses 147 migrants. …Si je comprends bien, ces deux fleurons de la droite extrême ne sont pas d’accord sur la façon de venir à bout de l’immigration.)

La Stampa, 9 mars 2023

En ouverture du dossier, page 2, Giorgia tient par la barbichette la jeune « sfuggiata ai terroristi di Boko Haram » qui lui offre des fleurs – et le fringant Rutte, premier ministre des Pays Bas, lui claque la bise, en lui offrant, lui aussi, roses et mimosas… (Hé oui ! Ici, on n’oublie pas que le 8 mars est la « journée des femmes » – on me l’a souhaitée au moins 5 fois dans la journée, dans la rue, au resto, au musée…)
… Autocongratulation de Giorgia : sa correspondance avec la présidente de la Commission européenne lui permet de noter « un cambio di approccio » (un changement d’approche) de Bruxelles à l’égard de la politique migratoire italienne – et elle a conclu hier un « pacte » avec Rutte, qui ne « réitère pas les accusations portées contre l’Italie », mais affirme « la nécessité d’une approche européenne efficace » (« lutter contre les trafiquants, c’est défendre les frontières. ») De son côté, preuve d’un certain « feeling con Meloni », Rutte annonce qu’il fera peut-être un petit voyage avec elle en Afrique, pour harmoniser la politique des visas…
Et La Stampa de célébrer l’initiative de Giorgia Meloni, qui réunit cet après-midi exceptionnellement ses ministres en Calabre.

https://www.la-croix.com/Meloni-reunit-conseil-ministres-pres-site-naufrage-migrants-2023-03-09-1301258433

Mais ne nous quittons pas sur Giorgia, allons voir plutôt du côté de Giordano : hier soir, j’ai fait un dernier petit tour à Campo dei Fiori (- un peu moins de touristes que dans la journée, un peu moins de Romains aussi, car le marché a levé le camp) : des grappes de jeunes se donnent rendez-vous ici la nuit, au pied d’une statue qui a déclenché les foudres du pape quand on l’y a installée, en 1890 : celle de Giordano Bruno, le formidable savant, penseur et rêveur qui fut ici brûlé vif en 1600 pour hérésie par l’Inquisition.

Vue de la fenêtre de ma chambre, vers la Via dei Pellegrini

5 commentaires sur « Tous les chemins… promenade romaine »

  1. les italiens se laissent séduire une autre fois de la droite extrème. la meloni est beaucoup plus intélligente de la grande-fille de mussolini- et même du grandpère… ils n’étaient jamais honnêts avec son histoire, après la guerre il voulaient cacher le fascisme sous le communisme, et maintenant le déja-vu à l’italienne.

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      1. mais ce qui me frappe aussi, c’est à quel point la presse française s’intéresse peu à ce qui se passe en Italie, et combien il est pratique, en somme, de dénoncer ce qui s’y passe sur le front de l’immigration, en oubliant de rappeler les responsabilités française et européenne

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  2. dans un point la meloni a raison: la politique des aûtres pays européens sur l’immigration est totalement égoiste et laisse l’italie seule avec
    sa exposition géografique vers l’afrique: que bel hasard pratique! de l’autre côté on pourrait dire qu’ avec un retard de 100-120 années l’italie repaye dans le sens de « poetical justice » ses crimes colonialistes en afrique di nord et est.
    mais à la fin ce sont les africains sur les bateaux qui payent avec ses vies encore une fois…

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