D’ici et d’ailleurs 65,
Notre Dame des Landes, Montreuil, 14 – 15 mai 2022
…Je reviens pour me prosterner
Devant les miracles
De celle dont les champs sans fin
De notre pain de notre vin
Sont les tabernacles.
Notre Dame des Sillons !
Ma bonne Sainte Vierge, à moi !
Dont les anges sont les grillons
O Terre ! Je reviens vers toi !
Gaston Couté, Cantique païen.
Ces jours derniers, jours de grande fête, j’ai foulé une terre très aimée, âprement défendue. Foulé comme on foule le blé sur l’aire, la vigne dans la cuve – avec la sensation de toucher son corps et son sang.
Dans Fouler il y a Foule. Et dans ce coin de bocage, au lieu-dit Saint-Jean du Tertre, au sud-ouest de la ZAD, à quelques encablures de Vigneux-de-Bretagne, il en a fallu du monde d’ici et d’ailleurs, des années durant, pour défendre la Zone À Défendre de Notre-Dame des Landes. La défendre et la sauver.

Alors tâter de la chair et du sang de cette terre aujourd’hui, c’est forcément marcher encore vers elle, et tendre encore les mains, les nouer à celles de tant d’autres, communier à cette table toujours dressée entre les cabanes, les haies, et les futaies. Entonner un chant en son honneur. Pas de ces hymnes qui s’élèvent en pèlerinages vers une haute, une millénaire Étoile de la mer, à travers l’océan des blés – mais un chant de terre, d’alouette ou de grillon.
Comme ce cantique chanté à Saint-Jean à fleur d’étang, au ras du sol, en l’honneur des noces d’une amie chère avec un homme-arbre, un homme-charpente, un pilier de la ZAD. En l’honneur aussi de cette terre, et de toute Terre sans âge et sans assignation.
Un cantique païen.
Écoutez plutôt : il dit tout.
Las de chercher là-haut, là-bas
Tout ce que je n’y trouve pas
Je reviens vers celle
Dont le sang coule dans mon sang
Et dont le grand coeur caressant
Aujourd’hui m’appelle.
… O Terre…
– Alors raconte, comment ça s’est passé ?
– Hé bien voilà.
Une fois quittée la desserte autoroutière – celle qui devait conduire les voyageurs pressés à l’entrée de l’aéroport, dans un champ de béton, on serpente sur les petites routes du bocage, puis on marche sur des chemin, entre blanches marguerites, digitales pourpres, genets sucrés et cent autres buissons, fleurs et fleurettes qu’on va retrouver sur les tables du festin, avec les flonflons du bal, accordéons, bourrées et tarentelles, violons et chansons.


– Oui, mais la cérémonie ?
-…Les promis se sont engagés sur un ponton, entre grenouilles et tritons. Non pas devant le maire, mais devant témoins. Devant nous, le grand cœur caressant de la fête, qui palpitait dans les dizaines, les centaines de cœurs réunis en amphithéâtre sous les arbres, dans la prairie du bord de l’étang.
– Acceptez-vous d’épousailler… jusqu’à ce que l’ennui vous sépare ? a demandé l’officiant.
– Oui, ont dit les amoureux.
Puis une amie de la Réunion les a enveloppés, protégés de signes et d’encens – un rituel Malgache de la Réunion.
Puis est arrivée jusqu’à eux, à travers l’étang, halée par un canoé, célébrée par les feux de bengale, le Grand Registre des Noces – une poutre, gravée du nom des mariés, et de ceux des premiers témoins. Une poutre qui soutiendra leur cabane à eux, quand ils la feront pousser, quelque part par ici sans doute.
Un registre en bois, un support costaud pour faire La vie solide (la charpente comme éthique) – c’est le titre d’un beau livre d’Arthur Lochmann, un charpentier-poète-philosophe de leurs amis.
Enfin, avec d’autres bras, ils ont soulevé, transporté la poutre jusqu’au lieu des festivités, un peu plus loin – un terrain et des prés, autour d’une maison commune.
– Ça vous a un peu des allures de montée au Calvaire, ce portage, non ?
– Tu n’y es pas. Des transports de poutres, il y en a eu plus d’un dans l’histoire des luttes d’ici. On a même transporté des charpentes entières, au besoin. Construit – détruit -reconstruit… Une cabane en marche, quoi de plus éloquent ?

Dans la cuisine de la maison commune, des photos racontent sa construction – toute une histoire, un collectif, une charpente. Tout, ici, est affaire d’invention-construction. Du four à pain au laboratoire de galettes, de la bergerie aux séminaires et à la mise en culture des champs voisins.
Aujourd’hui, le projet d’aéroport est abandonné, mais il reste encore tout à faire.
Car :
« À mesure que s’accélère la dégradation des conditions de vie sur terre, nous sommes de plus en plus nombreux.ses à se sentir tenaillé.e.s par la confusion, la colère et l’absence d’horizon. Qu’attendre d’une énième COP ou d’un catalogue printanier de promesses électorales ? Seul un basculement radical – un soulèvement – pourrait permettre d’enrayer le réchauffement climatique et la 6ème extinction massive des espèces déjà en cours. Au fond, nous le savons, il ne nous reste aujourd’hui plus d’autre voie que de mettre toutes nos forces dans la bataille pour enrayer le désastre en cours, et abattre le système économique dévorant qui l’engendre. »
– Ça, c’est le dernier édito du mouvement Les soulèvements de la terre, dont le premier Appel fut lancé en mars 2021, à la ZAD de Notre-Dame des Landes.
https://lessoulevementsdelaterre.org/

…Cette fête que je vous raconte, elle nous invite à soulever la terre, sable ou humus, boue, ou gadoue, maintenant, où que nous soyons. Elle nous invite aussi à inventer, partager ces rituels qui unissent les luttes, les font exister, tenir debout. Barbara Glowczewski nous en parle, dans Réveiller les esprits de la terre, et un article signé -h- publié dans la revue Fabula explique ça très bien :
« Le rituel tel que nous le travaillons à la zad est un outil politique, un outil de soin qui permet de puiser des forces pour les luttes sociales, anticapitalistes, et écologiques. Avec la C.A.R., nous développons une pratique bancale, un jeu d’équilibre, où nous expérimentons un syncrétisme gloubiboulguesque…
Nous voilà ancré·e·s sur un territoire, ou plutôt dans un sol, qui se présente une bonne partie de l’année sous forme de boue. Cette matière liante et mouvante qui change de forme et s’adapte sous les contraintes, les pressions, les flux, c’est la gadoue avec laquelle on joue et modèle. Elle coule dans les interstices, à travers les fissures, elle sert à bâtir des maisons en terre-paille, à marquer des charpentes ou des fronts, à faire des objets à foutre au feu pour devenir céramiques, et durer, durer. C’est la boue dans laquelle les zadistes se sont battu·e·s et grâce à laquelle les zadistes ont résisté contre un État. Les rituels sont justement là pour accompagner cet ancrage de la zad dans un temps géologique, biologique et cosmique, la projeter sur des générations, en accrochant au mythe de la zad qui existe déjà, d’autres types d’histoires et des gestes en résonance. Pour celles et ceux qui ont vécu ces moments, et pour celles et ceux qui viennent après, après la bataille, et qui construisent ensemble une culture. »
https://www.fabula.org/lht/27/h.html

Avant de nous quitter, retournons au bord de l’étang. Un être étonnant nous y attend – elle nous guette peut-être, sans que nous le sachions, car elle vit cachée, de préférence.
Voici ce qui fait d’elle, un vivant exceptionnel :
– Elle a de grands yeux noirs, qui lui permettent de voir au crépuscule, et la nuit.
– Serpent à pattes, elle est amphibie. Elle aime les forêts, se nourrit de cloportes et autres insectes.
– C’est une bête de terre et d’eau, de feu aussi – on la croyait incombustible et ignifuge, et c’est elle qui chauffait la chambre de nos grand-mères.
La Salamandre.
Emblème de la ZAD, c’est elle aussi qui est taillée en haut-relief, sur la poutre de nos amis. Celle qui portera leurs projets, abritera leurs rêves.

La zad de notre-dame des Landes qui soulève la terre c’est super !
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On est bien d’accord!
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Les traces des résistants à l’absurde, se sont incrustés à tout jamais dans la boue collante de la seule ZAC, qui mérite qu’on l’écrive en majuscule. C’est désormais un jalon VICTORIEUX pour les combats à venir…
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c’est bien vrai !!!
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