D’ici et d’ailleurs 63,
Montreuil, 25 avril 2022
Côme était dans son yeuse (…) Côme regardait le monde du haut de son arbre : tout, vu de là, était différent.
Italo Calvino, Le Baron perché.

Quelque part en France – regarde, il y a un drapeau bleu-blanc-rouge sur son dessin, sur ceux de ses copains aussi,
quelque part en France, il – elle a installé sa maison.
Enfin sa maison… c’est une cabane. Mais attention, il y a tout ce qu’il faut : un toit, une porte, une fenêtre, une cheminée qui fume.
– Pourquoi elle est dans un arbre, sa cabane ?
– Ben c’est normal pour une cabane. Et puis perché là-haut, on est bien tranquille, et on fait ce qu’on veut. On voit tout. Et puis d’abord, c’est la maîtresse qui l’a demandé : tu dessines un arbre quelque part en France, faut que ça soit en France, et après tu colles ta cabane.
Ton arbre à toi, il lève les trois bras en l’air. Mieux que De Gaulle. Il a une écharpe bleue – bleue comme le ciel, la mer ou la rivière. Bleue comme tes rêves.
Tu n’as pas oublié l’échelle, pour t’enfermer là-haut, ou grimper dans les feuillages, jusqu’au ciel. Ni de planter un pommier plein de pommes, tout à côté. On ne sait jamais. Mais tu n’as pas signé. – Qui es-tu ?

Tu es un-une élève de l’École Danton, à Montreuil-sous-bois, dans le 93. Tu ressembles peut-être à la gamine qui s’est assise dans l’embrasure de la fenêtre, avec ses yeux bleus, une fleur bleue dans ses dreadlocks.
En sortant du bureau de vote, hier matin, je me suis attardée sur les dessins qui étaient affichés dans la cour de récré, collés aux vitres. Et en revenant y faire un tour, le soir pour le dépouillement, c’est encore à ces enfants que je pensais, à leurs rêves, et aux moyens que nous nous donnerons pour les réaliser.
Aux enfants de cette ville qui avait de bonnes raisons de voter à 55,3 % pour Mélenchon au premier tour, et à ceux du petit village de l’Yonne (« Bourgogne-Franche-Comté ») où j’étais la semaine dernière, dont les parents avaient d’excellentes raisons de ne pas voter Macron au second tour (58,3% Le Pen).

« Vive la République, et surtout vive la France », a lancé hier un candidat recalé.
– C’est quoi, la France ? À quoi ressemble l’image qu’on s’en fait ? Est-ce que c’est la même, à Montreuil et à Lézinnes ?
« Ça sent bon not’pays ! Quel pays ? Ça sent si bon la France ! »
gouaillait Maurice Chevallier en 1941. Et tout le monde avait l’air de savoir ce que ça sentait : un village, une campagne, un paysage… Un coin de Paris, avec ses bistrots, son accent et ses jolies filles…
Quarante ans plus tard, Mitterand le savait aussi : son affiche de campagne ne parlait pas de la République, mais d’une certaine idée de la France.
– Est-ce qu’aujourd’hui, il y a des gens qui savent mieux que d’autres à quoi ça ressemble, la France ?
La veille de Pâques, à Lézinnes, le printemps était radieux dans le ciel bleu. Le coq, planté sur le clocher. Dans les prés, les pommiers étaient en fleurs, dans les forêts les arbres verdissaient, sous les ponts la rivière sautillait. On est allés faire un tour dans le village d’à côté : dans le canal, l’eau coulait, paresseusement, et parfois, stagnait. La force tranquille.
Au petit bar-restaurant de l’écluse, Chez Mémé, trois quatre piliers de comptoir échangeaient deux trois blagues. Sur le coup de midi, quelques familles sont arrivées, pour se taper un copieux repas, menu-vin compris, 12 euros.
Puis l’éclusier est arrivé en mobylette. Il a ouvert l’écluse.
Puis une péniche est arrivée, suivant sa route qui jamais ne dévie, jamais ne s’ouvre sur l’inconnu, l’océan, les horizons bleus. D’une voie toute tracée à une autre.
Je me suis approchée, pour connaître son nom.
Elle s’appelait L’Art de vivre.
C’était merveilleux. C’était étrangement inquiétant.


Magnifique chère Marie ! Je te retrouve toute entière… et Lézinnes aussi avec tous ses parfums : ceux de la maison, du jardin splendide, des cours d’eau, de la forêt, des villages de pierre, et des vastes demeures… Merci pour tout !
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merci à toi, chère Claude!
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Les « deux Frances » dont les commentateurs des résultats de dimanche nous affirmaient que l’une était urbaine et l’autre rurale… Laquelle des deux va si mal ? Et de quel mélange de substances toxiques est faite cette dérive ?
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Merci Carlos! je ne sais pas de quelles substances au juste se nourrit cette dérive, mais je suis sûre que les images (visuelles, mentales) les plus innocentes, les stéréotypes et autres formules simplificatrices peuvent s’avérer de redoutables poisons…
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