allers-retours: cela semble toujours impossible

D’ici et d’ailleurs, 55
Montreuil, Paris, le 20 novembre 2021

Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serai un homme-juif un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal. 1939

Montreuil, 18 novembre 2021

L’autre jour, pas loin d’ici, la lumière était aveuglante, et j’ai failli ne pas les voir – toutes ces bêtes tapies dans l’ombre.
Depuis début novembre, il y a des jours où la lumière est si vive et le soleil si bas, que l’après-midi, il faut mettre des lunettes de soleil pour descendre des hauts de Montreuil à la Croix de Chavaux.

À l’angle de la rue Saint Antoine, des fauves d’une patience inouïe font le guet. Attendent. Ils sont de ceux que le tagueur, l’affichiste respecte : des années déjà qu’ils sont là.
– Passe ton chemin, et fais gaffe, dit le félin.
Nous, notre heure n’est pas encore venue. Mais attends un peu.

CELA SEMBLE TOUJOURS IMPOSSIBLE JUSQU’À CE QUE

– jusqu’à ce que quoi ? Et combien de temps encore ?
Mandela a l’air confiant, ça se voit.

Au coin d’une rue, le crocodile là, m’a carrément fichu la trouille.

La ville est pleine de bêtes plus ou moins domestiques. En liberté surveillée, ou qui surveillent la vôtre. Le parc de Lumigny est à moins d’une heure d’ici : le jour où elles vont briser leurs cages…

Croix de Chavaux, un mur donne l’alerte : il y a peu, les Spice Girls – cinq vaches normandes qui depuis quelques semaines, nous regardaient passer sans broncher, comme on regarde passer les TGV  – ont été chassées par l’Homme à la cage. – Vous voyez ? la porte est ouverte, l’oiseau est encore posé sur son cerveau-prison…

vienne le colibri vienne l’épervier vienne le bris de l’horizon vienne le cynocéphale…

CELA SEMBLE TOUJOURS IMPOSSIBLE JUSQU’À CE QUE

… Jusqu’à ce que l’oiseau s’envole.

Sur la Place de la Mairie, ça y est : des troupeaux de bisons s’engouffrent déjà dans le théâtre. Personne ne bronche.
Les pigeons, d’ordinaire si envahissants, se taisent. Mais d’un coup, dans le quasi silence de cet après-midi d’automne, des cris puissants. Presqu’humains. Je lève la tête : une perruche jaune vif traverse le ciel, à travers le feuillage doré des platanes.
J’ai essayé de la photographier, pour vous la montrer : tu parles !
– Enfin elle est peut-être là, cachée parmi les feuilles… où est Charlie la perruche ?
Pas de danger qu’elle retourne dans sa cage.
Allers, sans retours : elles sont bien, les perruches. Venues de je ne sais où, acclimatées depuis belle lurette dans les parcs voisins, les voici en centre-ville. Nées ici, pas de retour prévu au pays natal.  
Comme ce chat qui hante un royaume immense, le quartier des murs à pêches, libre félin dans ses palais de broussailles et de béton.

– Alors j’ai pensé à tous ces hommes-hyènes, ces hommes-panthères – ces colibris, ces oiseaux et tous ces vivants dont la cage reste fermée.
Ceux qu’on a capturés, qui voulaient repartir.
Ces Objets Vivants dont la vie un beau jour, bien loin d’ici, sur d’autres continents, s’est interrompue. Pillés, volés, troqués, achetés – enfermés dans les réserves des musées. Les plus chanceux, derrière les vitres, regardés, admirés… inaliénables !
…pour eux, pas question d’un Retour au pays natal.
Il y a peu,
CELA semblait TOUJOURS IMPOSSIBLE JUSQU’À CE QUE…

Mais la cage ne s’ouvre pas toute seule : il faut pousser la porte très fort, du dedans. La tirer très fort, du dehors.

Le 8 octobre dernier, se tenait un « nouveau sommet » à Montpellier. Pas France- Afrique, non : Afrique-France, ça change tout. Avec cette fois, la société civile. Un sommet « d’un genre radicalement nouveau. Sans chefs d’Etat et sans autorités institutionnelles, il sera exclusivement consacré à la jeunesse d’Afrique et de France qui, chaque jour, bâtit l’avenir de la relation entre la France et le continent africain. »

Il y avait là des jeunes d’ici, réunis par l’Association Alter Natives : de Montreuil et de MBoro, au Sénégal : ils ont bien fort poussé, tiré la porte.

La porte ne s’ouvre pas toute seule. C’est un long travail. Et d’abord, il y a un sacré ménage, une sacrée vaisselle à faire. C’est ce qu’a rappelé à Emmanuel Macron une intervenante burkinabé,  Ragnimwendé Eldaa :  « Si la relation entre les pays d’Afrique et la France était une marmite, sachez qu’elle est très sale, Monsieur le Président. Je vous invite à la récurer.…Si vous refusez de la laver, si vous voulez quand même préparer là-dedans, je ne mangerai pas. Nous ne mangerons pas. L’Afrique ne mangera plus. Le repas sera prêt, vous serez seul à table. Avec un appétit difficile. »

Et le Président souriait… souriait…

Ecoutez le monde blanc
horriblement las de son effort immense
ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures
ses raideurs d’acier bleu transperçant la chair mystique
écoute ses victoires proditoires trompeter ses défaites
écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement
Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !
Eia pour ceux qui n’ont jamais rien inventé
pour ceux qui n’ont jamais rien exploré
pour ceux qui n’ont jamais rien dompté
Eia pour la joie
Eia pour l’amour
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal. 1939

Prince Toffa, Paris, le 20 novembre 2021

Un mot, encore.
Cet après-midi à Paris, quartier de La Chapelle, un homme-varan s’était échappé. Ou un homme-dynosaure. Dans son habit de lumières, cliquetant, soufflant, crachant, il écartait tout sur son passage. Quand il s’est relevé, c’était un Prince. Prince Toffa, au bras de sa Princesse. Au-dessus d’eux, l’Afrique et sa Diaspora, accrochées par Edwige Aplogan.

Et puis, si vous voulez connaître l’histoire de la capture et de la restitution des objets africains, voici un lien vers le film de Nora Philippe, Restituer, l’Afrique en quête de ses chefs-d’œuvre

4 commentaires sur « allers-retours: cela semble toujours impossible »

  1. bonne lecture, au sujet des animaux le crocodile est copain avec des papillons, la part peinte du monde est réconciliatrice, le reste, la parole nécessaire c’est plus difficile…

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