déserts

D’ici et d’ailleurs, 51.
Sur des chemins du Mont Lozère,
Vendredi 23 juillet 2021

Depuis plus de quatre mois, dans les Cévennes & dans d’autres lieux circonvoisins, il se fait presque tous les jours des assemblées pour prier Dieu dans les bois, dans les cavernes, dans les rochers. 
Pasteur Pierre Jurieu, printemps 1686.

le cimetière de Castagnols

On serait passées à côté sans le voir, si deux silhouettes ne s’étaient dressées dans l’ombre des châtaigniers, contre les trous de soleil, un petit garçon et sa grand-mère : le cimetière était si nu, et les tombes, si mêlées à la végétation, si couvertes de chatons… De derrière le grillage, l’enfant nous a lancé fièrement : « c’est mon papi qui est enterré là, et son papi aussi, et toute la famille !… »

le temple et la mairie de Lézinier

Quelques heures de marche plus loin, dans le parfum de sperme des châtaigniers en fleurs, Lézinier : quelques maisons ; un petit temple tout rond, accolé à la mairie, près de laquelle pâlissent les affiches électorales. Une jeune femme avenante y habite – elle descend discuter avec un jeune de passage, au volant de sa camionnette. De toute évidence, habiter loin de tout resserre les liens. D’ailleurs le 4 juillet, l’association Lézards locos avait organisé la « fête des voisins ».

On est dans l’un des cinq hameaux de la commune de Saint Andéol de Clerguemort. Au cœur du désert protestant – en plein maquis aussi. Dragonnades. Résistances. Guerres. Sur le monument de 14-18, neuf morts.

– Combien y a-t-il d’habitants, sur la commune de Saint Andéol ?
En 1793, 376 ; en 1821, 208 ; en 1946, 98, dit le site de la Communauté de communes.

https://cevennes-mont-lozere.fr/index.php/2000000-non-categorise/21-st-andeol-de-clerguemort

la calade et le seuil du mas

De loin en loin sur les chemins, d’antiques et hautes maisons de schiste – les unes, abandonnées, d’autres, entretenues ou restaurées. Ici et là sur la carte IGN, des noms d’Europe du nord. Avant-hier, c’était un couple de Néerlandais qui nous accueillait dans son mas – les affaires marchent bien pour eux, ils travaillent avec les randonneurs qui se baladent avec des ânes, venus ici d’un peu partout.  On appelle ça l’ écotourisme. Hier, c’était Olivier. Lui vit depuis toujours dans cette maison-forteresse au fond des bois, Le Lauzas, perchée au-dessus d’une rivière, avec sa clède et sa bergerie. À la belle saison, il y tient un gîte, avec sa famille. L’hiver, il est sylviculteur : il coupe des arbres dans ses bois alentour – du pin Douglas, un nouveau venu dans la région, très prisé en menuiserie.

Le Lauzas en peinture, il y a quelques années

Au Lauzas comme partout alentour, les vignes courent dans les forêts. Les chênes et les pins, les tilleuls et les châtaigniers grimpent sur les faïsses – les terrasses, menacent les ponts, les murs… Olivier m’a offert la photo d’une peinture du Lauzas, faite il n’y a pas si longtemps : on y voit bien les prairies, les terrasses cultivées. Restent les calades, construites pour l’éternité. Le tranchant de leurs pierres résiste au pas des ânes, leur tracé épouse les roches, les marches et le seuil des maisons taillés dans le roc.  
Sur les sentiers, aux abords de ruches, d’habitations cachées, on croise d’étranges panneaux comminatoires. Et au plus profond des bois, un feu vert allumé sur une murette.

– Combien y a-t-il d’habitants, à Saint Andéol ?
En 1968, 46.
Exodes, exodes… En 68, Jean Ferrat chantait ses montagnes abandonnées d’Ardèche, tandis qu’au sud, les houillères battaient des records de production (en 1947, il y avait plus de 20 000 mineurs dans les houillères autour d’Alès)… le dernier puits a fermé en 1986.

l’hôtel restaurant de Genolhac, en face de la gare

Au flanc est de ce pays, grimpe le train cévenol. Aujourd’hui, à Genolhac, il est en retard.
– Peut-être une demi-heure, m’informe le chef de gare, jovial. Installez-vous donc à la terrasse en face, je viendrai vous chercher.
En face, il y a l’Hôtel-restaurant-bar du Chalet, qui fait aussi station-service. Quelques jeunes y sont attablés. Le camion de pompiers est juste devant – les pompiers sont venus boire un verre. La serveuse accorte comme il convient a de longues tresses multicolores. C’est sans doute aussi la patronne : il y a des plats créoles au menu. Elle sert l’essence, les apéros.
Les pompiers s’en vont. Arrive une jeune femme un peu lasse, en savates, longs cheveux et seins lourds sous son T-shirt. Qui repart. Puis revient sous le soleil, et s’installe à la fenêtre, pour charger son téléphone.
Le soleil tape.
À côté de la gare, en face de ce qui a peut-être été jadis le lavoir, il y a une laverie automatique en plein-air, Laverie Révolution.
Je m’attends à voir arriver le facteur de Jour de fête, sur son vélo – mais voilà le chef de gare qui vient nous chercher. Déboulent 2 ou 3 autres voyageurs. L’un d’eux commente, rigolard :
– Aaah, c’est pas comme à Nîmes, ici ! Dans les petits pays, faut qu’on s’entraide.

en chemin

Ici au désert, depuis le début du covid, c’est dur pour tout le monde. Mais alors que depuis deux jours, le « pass sanitaire » est obligatoire dans les lieux de loisir, et que dans quelques jours, il le sera un peu partout – que deviendra la fragile économie rurale et touristique qui depuis quelques années peine à se construire ?

– …Combien y a-t-il d’habitants, sur la commune de Saint Andéol ?
En 1975, l’année la plus déserte, 37.
En 2010, 104 – dont quelques-uns ressemblent un peu à ce jeune troubadour cévenol, qui à son tour, chante sa montagne.
Et aujourd’hui, encore à peu près autant.

2 commentaires sur « déserts »

  1. Merci pour le pèlerinage en lozere, la derniere fois que jy fus en lan 60.. st germain de calberte.. dans un petit gardon il y avait un combat homérique entre une couleuvre et un gardon,elle avait planté ses dents dans son ventre et le courant les emportait je ne sais comment ca a fini.. le soir il y eut le bal du 14 juillet..
    Amities de berlin
    M.

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