Wohlers allee

D’ici et d’ailleurs, 49
Hambourg, jeudi 1er juillet 2021

C’est à Hambourg, à Santiago
À White Chapel, ou Bornéo
C’est à Hambourg, à Santiago
À Rotterdam, ou à Frisco…

C’est une petite rue couverte de grands arbres. On y marche comme dans un aquarium, ou dans une forêt.
D’un côté, un parc, un ancien cimetière danois. De l’autre, des maisons calmes, avec des passages qui ouvrent sur des arrière-cours plus calmes encore : devant les portes, souvent, des bancs, des fleurs, des jouets…

Je suis arrivée ici il y a quelques jours.
– Pas à Santiago, ni à Frisco, mais à Hambourg, dans un quartier tout près du port – Altona, (comme les séquestrés).
Depuis bientôt deux ans, rien n’a changé – tout a changé.

Dans le parc-cimetière, il y a toujours des écureuils, des arbres immenses – mais la nuit comme le jour, des grappes de gens s’installent sur les pelouses, fument de l’herbe, grillent des saucisses, font la fête… oui, la nuit aussi, en plein centre-ville, le parc reste ouvert !

Un peu plus loin, en descendant vers le port, le cimetière juif est toujours bien fermé, barricadé derrière ses grilles – mais sur les trottoirs de notre rue, des stolpersteine (pierres pour trébucher) ont poussé.
La petite mosquée affiche toujours le même charmant décor – mais elle fait maintenant la publicité de l’association caritative Hasene – aide aux démunis, aux migrants…

Dans notre rue, il y a toujours des vélos, des vélos, des vélos.
Et sur la façade de la maison voisine, les mêmes fresques-souvenir d’un partenariat entre des artistes et une association d’aide sociale. Sur la place de l’église Sankt-Johannis, juste à côté, le même totem en céramique, « l’arbre amitié » : une initiative qui associait les enfants des écoles du quartier, Freundschaft macht Schule – « l’amité fait école » (- dans cette église evangelish, où les Services religieux se raréfient, fêtes, concerts et spectacles vont bon train).
– Mais dans la rue, dans les cours, les cabanes à vélo se sont multipliées.
Près de certaines poubelles, des bouteilles vides se sont soigneusement alignées : c’est le projet Pfand gehört daneben (« bouteilles consignées, à côté ! » (… au lieu de les jeter dans la poubelle), pour permettre aux sans-abris de les rapporter, et de récupérer les sous (merci Carmen, pour l’explication! )
… ça fait si longtemps que ce quartier reflète la mentalité, les projets, les combats des « alternatifs », comme disaient les ancêtres des années 70.

Au coin de la rue, d’énormes travaux sont en cours. Ici comme ailleurs dans cette ville, presque aucun immigré sur les chantiers.
On refait toute la voirie, comme un peu partout tout à Altona. Agréable, le quartier est en train de devenir idyllique. Les prix de l’immobilier battent des records : c’est devenu le sujet politique N° 1. Le combat principal.
Trop tard. Ça fait déjà un bail que par ici, il n’y a plus de Turcs que derrière les comptoirs des boutiques d’alimentation. La gentrification est achevée.

Thadenstrasse

Derrière chez nous, un petit bout de quartier se bat depuis plus de 3 ans pour ne pas être détruit : La Bernie (du nom de la Bernstorff Strasse) : des artistes, des artisans, des musiciens – un super-concentré de ce quartier d’ Altona. Aujourd’hui, ils ont presque gagné, le projet immobilier est suspendu… à suivre.
Juste à côté, au milieu d’un vaste ensemble de résidences pour seniors, entre les arbres centenaires, un petit senior-café croule sous la végétation. Il est quasi désert. Il parait qu’on y mange très mal.

Dans notre rue circulent d’étonnants véhicules : une voiture d’enfants avec huit enfants dedans, poussée par une petite dame ; un chariot bâché de 4 mètres de long, tiré par un jeune type à vélo – c’est un postier. Pas eu le temps de le photographier : il allait trop vite – « moteur à muscles », dit à peu près le logo de l’engin. Sur le boulevard du bout de la rue, passe un Wanderer de Caspar David Friedrich.  
« Les bouteilles en plastique ont tué la dernière licorne », clame une affiche géante, devant le Kunstverein de la ville, la Libre Académie de l’Art, du côté de la gare centrale. Encore une initiative : si vous voulez en savoir plus sur le « plastique sans cœur », allez sur trink-aus.glas.de (bois dans du verre)

C’est à Hambourg, au ciel de pluie
Quand les nuages vont à pas lents
Comme s’en vont les lourds chalands
Le long des quais, crevant d’ennui

Le port n’est pas loin. Là aussi, tout a changé. Rien n’a changé. Sur les quais crevant d’ennui (pas pour tout le monde), les bâtisses ruinées sont réhabilités, des architectures audacieuses se sont installées – les filles qui tapinaient dangereusement pour 3 marks la passe, dans l’ombre, sont parties. Des terrasses, des promenades, accueillent les promeneurs, les touristes…
– mais dans le large chenal de l’Elbe, bordé de docks innombrables, de grues géantes, passent encore et encore, de lourds chalands venus du bout du monde, en partance pour je ne sais où…
…et je me demande encore, à quoi me font penser ces petits bateaux si puissants, les Bugsiers, qui se collent aux grands navires impotents, pour les guider jusqu’au port, ou jusqu’à l’estuaire ?…

à côté du navire, un Bugsier

En arrivant au port, sur le Fishmarkt, il n’y avait ni marché au poisson, ni bar à marins – ils sont fermés.  Quant au porno, rien de neuf : c’est toujours à Sankt Pauli que ça se passe, sur la Reeperbahn – mais sur un quai, entre des pubs de spectacles de travestis, j’ai croisé Edith Piaf. Enfin, presque.

Hello boy! You come with me?
Amigo! Te quiero mucho!
Liebling! Komm doch mit mir !

C’est à Hambourg ou bien ailleurs…

4 commentaires sur « Wohlers allee »

  1. Le combat désespéré du quartier de Wohlers Allee contre la gentrification me rappelle fort ce qui se passe dans mob quartier Ste Marthe, Paris-10ème !

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