d’ici et d’ailleurs, 41
Montreuil, lundi 12 avril 2021
L’autre jour, des ouvriers accrochaient à la façade de la mairie une série de 110 portraits d’enfants de Montreuil. Beaux visages, beaux sourires démasqués. Mais accrochés si haut, si haut…
Ça aurait été bien pourtant de pouvoir les regarder tous, chacun, chacune.
Aujourd’hui, je suis allée photographier les images les plus accessibles. Un jeune garçon alors vient vers moi – il me demande : « tu connais l’adresse d’un avocat ? » – on cherche une adresse sur mon portable, et on trouve tout de suite le numéro d’une consultation gratuite pour mineur, à Montreuil. Il le recopie sur son téléphone. Il me dit qu’il arrive juste de Kayes, au Mali. Et s’éloigne, l’air satisfait.
Un petit indien – Un petit indien
Nagawicka – Nagawicka
Chantait gaiement sur le chemin
Nagawicka – Nagawicka
Après une semaine « d’école à la maison », tous les enfants sont en vacances – dans la ville, tous ceux, toutes celles qui pouvaient partir au vert sont partis. Mais il reste beaucoup, beaucoup d’enfants dans les rues, les jardins, dans les poussettes – partout.
Cet après-midi sur le boulevard, devant le jardin de la bibliothèque, une femme est assise par terre, comme hier, comme presque tous les jours. Sa fille de 8 à 10 ans peut-être cherche une position confortable à côté d’elle, enfouit sa tête dans la jupe de sa mère. Elles restent là, une grande partie de la journée.
À quelques mètres de là, dans l’aire de lecture des tout-petits, il y a des parents et des enfants qui lisent des livres, assis par terre. Regardent des images, ensemble.
Car la bibliothèque Robert Desnos vient de rouvrir, très embellie.
Tout près, une autre jeune femme s’installe été comme hiver, en pleins courants d’air dans le métro, au carrefour de deux couloirs – et avec elle, collé à elle, il y a toujours un enfant très jeune. Parfois deux. Toute la journée.
Quelques raisons de se réjouir ou d’espérer existent ici sans doute, pas toujours visibles à l’œil nu – elles sont soigneusement collectées par le journal local : vie associative, initiatives, artistes, « coups de chapeau »… Dans l’espace public, la municipalité honore ses héros : après l’hôpital, les enfants, « super-héroïnes et héros », même. « Féministe », elle a piqué leur slogan, leur collage aux colleuses : « Nous sommes toutes des héroïnes » – c’est affiché un peu partout, comme ici, sur la place de la Croix de Chavaux.
Près de la poste, le camion de la poste, lui, donne plus envie de crier que de sourire. À qui s’adresse-t-il ?
Les pommiers et les poires fleurissaient
Расцветали яблони и груши
Les brumes flottaient sur la rivière
Поплыли туманы над рекой
Katyusha, de Mikhail Issakovsi, 1938
Ce sont les tout jeunes arbres fruitiers qui sont héroïques : par ce petit printemps frisquet, sévèrement enfermés dans leurs enclos, ils tentent de fleurir « à la conquête de la biodiversité ». Bon courage. Dans le ciel empli d’immeubles et de bruit, de grands arbres en fleurs, des adultes, explosent aussi glorieux que dans les campagnes dont ici, ils font rêver.
Sur la place de la mairie, l’expo de l’association Remem’beur a du succès. Les gens s’arrêtent, regardent, prennent des photos. Acquis à la cause, semble-t-il. Plus loin, des gosses jouent au ballon. Mais là-bas, devant le Théâtre, le mouvement du collectif « Théâtre OQP » a l’air de s’être essoufflé : il n’y a pas grand-monde, on dirait ? …
…Derrière le square empli d’enfants, il se passe tout de même quelque chose: concert improvisé. Trois petits garçons, trois copains sont autour du micro que le collectif a installé ici, pour les passants. Ils chantent, pour les quelques personnes qui sont là – Davy, Davy Crockett, l’homme qui n’a jamais peur. Il y a des gens qui les filment. Qui applaudissent. Quand ils ont fini, ils réfléchissent. Qu’est-ce qu’ils pourraient encore chanter?
Alors l’un d’eux chante, tout seul, dans sa langue, et in extenso, cette chanson que vous connaissez aussi, Katyusha – vous savez, en français, ça donne Quand la neige a recouvert la plaine, je prends mon cheval et mon traîneau… et mon chant s’élève à perdre haleine – non, jamais, le monde ne fut si beau ! …
Ils réfléchissent encore – se décident – et les voilà qui chantent à nouveau tous les trois une chanson que vous avez forcément apprise à l’école primaire – vous, ou des gosses de votre entourage – Nagawicka… J’irai chasser le grand bison… Nagawicka… Sur mon cheval, j’irai plus vite que le vent…
Ils me permettent de les photographier. Puis ils repartent faire un tour sur la place.
… Et alors… Non, aujourd’hui, jamais le monde ne fut si beau.














J’aime ton regard doux-amer et tendre sur les choses.
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merci Brigitte ! de fait, « doux-amer », c’est peut-être plus digeste qu’aigre-doux…
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