raz de marée

d’ici et d’ailleurs, 29
Île de Houat, 7 janvier 2021

Puis, levant les bras au ciel, il hurla vers l’infini ses imprécations : Oui, oui! Et je le poursuivrai jusqu’au cap de Bonne Espérance, au-delà du cap Horn, au-delà du maëlstrom de Norvège, au-delà du brasier de l’enfer, mais je ne me rendrai pas !
Herman Melville, Moby Dick, trad. de H. Guex-Rolle.

Au moment où après un furieux assaut, refluait l’invasion trumpiste du Capitole ( – les gardiens du temple n’avaient donc pas entendu cacarder les oies?…), huit bateaux quittaient le port comme chaque jour dans la nuit noire du très petit matin, avec à leur bord douze marins-pêcheurs – caseyeurs, fileyeurs et ligneurs. Et revenaient au port, quelques heures plus tard.
– Huit bateaux : c’est tellement plus qu’il y a peu – on était arrivé à une flotte de quatre seulement ! Mais tellement moins qu’il y a trente ans, lorsque l’économie de l’île reposait encore sur la pêche…

Quelques bateaux de pêche au port de Houat, janvier 2021

O Rouanez karet en Arvor, O Mamm leun a druez
Ar en douar er Mor, Goarnet ho pugale!

https://www.youtube.com/watch?v=l7bfDBWbms8

En ce temps-là, aux messes du dimanches, les voix chaloupées des hommes imploraient la patronne des Bretons, pour qu’elle les ramène à bon port. Depuis lors, tant de pêcheurs d’ici ont péri en mer.

Par de pareilles tempêtes, lorsque tout est assuré tant sur le pont que dans la mâture, il n’y a plus rien à faire qu’à attendre qu’elles passent.
– On ne disait mot ou presque et le navire réduit au silence, comme s’il était monté par des matelots de cire peinte, s’arrachait, jour après jour, à la folie et à la joie démoniaque des vagues. La nuit, les hommes opposaient un mutisme pareil aux cris aigus de l’Océan… sans mot dire, Achab faisait front au vent.

Au large de Houat et Hoëdic, vers le sud

En 1956, un arrêté ministériel autorisait le chalutage à moins de trois milles des côtes de Houat et Hoëdic, « pour permettre aux seuls insulaires de chasser l’appât sur le trait de côte »; et en 2004, un autre n’autorisait plus la pêche qu’au nord de l’île. Aujourd’hui, « cette réglementation est bien éloignée de la préférence insulaire… car on aperçoit désormais des navires immatriculés en Loire-Atlantique chaluter à moins de 500 mètres de la côte nord… » (Info Houat, 26 octobre 2020). Le maire de Houat bataille : Ar en dour an er Mor, sur terre comme sur mer, dans ces îles, les combats ne manquent pas.

Avec « l’effet covid », le ras de marée de l’été 2020 restera peut-être aussi mémorable que la tempête de l’hiver 1951 – celle qui a détruit le Vieux Port de Houat : jamais, au grand jamais, on n’avait vu autant de monde ici, comme sur tout le littoral. Sauf que moins encore que le continent, ces îles ne sont capables de supporter un tel tsunami : les ressources et les équipements sont limités, et le patrimoine naturel, si singulier et si fragile… La commune réfléchit à des parades, des solutions. Réduire le flux des navettes semble impossible : comment répartir les vacanciers hors saison?…

Quand reviendra l’été – ses hordes de plaisanciers, de vacanciers, de visiteurs… Même assistées de Goustan et autres thaumaturges insulaires, les petites colonies de Houat et Hoedic ne maîtriseront pas plus l’invasion, que le Conservatoire du littoral n’apaisera les tempêtes.

– Mais qu’est-ce qu’il te prend de vouloir pêcher la baleine? Je veux en connaître la vraie raison avant d’envisager de t’embarquer.
– Eh bien ! monsieur, je veux savoir ce que pêcher la baleine veut dire. Je veux voir le monde.

Au Fort, deux journalistes de l’antenne nantaise de TF1 sont arrivés hier soir. Ils préparent un sujet pour la semaine prochaine : les îles, l’hiver. Aujourd’hui, ils rencontrent plusieurs jeunes travailleurs de la terre (les moutons) et de la mer (la pêche). Il y aussi L., c’est encore un gamin – fermement décidé à devenir pêcheur, lui aussi.

Hier, comme j’arrivais par le sentier de l’est sur la place de la mairie, qui est aussi celle de l’église, je rencontre un très vieux monsieur, sa canne dans une main, son caddy dans l’autre – la goutte au nez sous sa casquette de marin. Je baisse mon masque, il me reconnaît, et nous causons un instant du soleil et du froid. Puis il me tourne le dos, s’éloigne et lance
« Et maintenant je commence une nouvelle vie ! »
– En attendant, sur la lande, de l’autre côté de l’île, bien défendus par leurs griffes, les ajoncs fleurissent.

Sur le Melvan au large de Houat vers Quiberon, tôt le matin, janvier 2021

2 commentaires sur « raz de marée »

  1. chère Marie, c’est un véritable périple ce retour aux sources… Nous y sommes en plein nous aussi, et nous apprécions tant les côtes presque désertes de l’hiver. Aujourd’hui il fait si beau que Houat se dessine à peine dans le lointain depuis Belle Île. C’est bon signe ! Ce qui se devine est souvent plus beau que ce qui apparaît en pleine lumière… en attendant le printemps !

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