ESPÉRANCE. perdue

d’ici et d’ailleurs, 23
Montreuil, jeudi 10 décembre 2020

Carcasse
Ton arme à toi c’est l’espérance

chantait Anne Sylvestre à sa carcasse – jusqu’à ce que sa carcasse la lâche, la semaine dernière.
« PERDUE. Espérance. Vue pour la dernière fois il y a longtemps. Si vous la voyez ou réussissez à l’attraper, merci de me téléphoner. » Et puis le profil d’un chien, noir sur blanc. Entre les milliers de flyers, de banderoles et de pancartes brandies dans la grande manif du 28 novembre dernier, surgissait ici et là cette affichette, autour de la Place de la République. Sur internet, l’auteur de la campagne d’affichage (Laurent Laclotte) explique qu’il l’a d’abord testée « dans le Marais » : il y a des gens qui l’ont appelé pour lui dire qu’ils l’avaient retrouvée, Espérance. D’autres, qu’ils ne trouvaient pas ça drôle.

Quelques jours plus tôt (les commerces étaient encore fermés), j’étais allée faire un tour à la Cité de La Noue, à la tombée de la nuit. Pas l’ombre d’un chien perdu en vue. Au Centre médical, une invitation à la prière mortuaire de M. Kouider Guettal à l’hôpital Cochin, avant le départ de son corps pour l’aéroport.
Dans le centre commercial presque désert, entre les boutiques closes, j’ai vu le rideau de fer du coiffeur pour hommes se lever, laisser entrer quelques jeunes et clac, se refermer. Un peu plus tard, quand je suis repassée devant la boutique, huit baskets étaient alignées entre les pieds d’un banc, dans la lumière, en bas du rideau.
À l’entrée de la Cité on peut se faire dépister gratos – il n’y a pas foule.

La veille du grand jour de la réouverture des petits commerces, j’ai aperçu Espérance ici et là dans le quartier. Les coiffeurs, surtout, l’avaient attrapée. Grands ménages de printemps, au seuil de l’hiver. Élargissement fabuleux de nos catégories mentales : « l’homme – la femme – l’enfant – les locks ». Depuis, il y a des sièges à demeure sur les trottoirs, devant les salons de coiffure pour hommes … »Oh! j’aimerais être un fauteuil, dans un salon de coiffure pour dames… » chantait hier Gnawa Diffusion. On dansait. C’était il y a une éternité.

Je nous vivrais bien d’autres fêtes, je te ferais marcher plus loin
…mais même sans viser trop haut, je veux que tu sois, vieille bête,
Au moins aussi bien dans ma tête que moi, je suis bien dans ta peau,
Carcasse

Depuis, il y a ceux qui croient au Père Noël : sac de sel de déneigement à disposition devant l’église, sapin monumental devant la mairie, Noël 2020-chapons-pintades chaponnées et tutti quanti – et chez Georges Lawson, le tailleur africain de la rue de l’église, des bonnets qui me rappellent les sapins en plastique de Dakar, et nos bonshommes de neige en sable, dans l’air tiède d’un soir de Noël, sur une plage de la Petite Côte…


– Un sapin de Noël géant à Montreuil-la-verte ? ( – chez nous à Strasbourg, il est encore plus grand, et en plus c’est un vrai, m’informe un voisin alsacien). Bien sûr. Mais le nôtre est si parfait que je suis allée le renifler pour m’en assurer : pur plastique, en effet. Plus écolo qu’un vieux sapin assassiné, vraiment ?
Sur quelques boutiques, à quelques fenêtres, quelques balcons, les vestiges d’une initiative municipale, « la manifestation du 28 novembre en soutien aux soignants et pour demander l’annulation de la dette de l’hôpital. » Espérance s’y était peut-être pointée ?

Carcasse
On n’y peut rien les années passent
Sur toi le temps laisse des traces et je sens que je change aussi
Avance
Ton arme à toi c’est l’espérance
À chaque jour qui recommence on recommence notre vie

Aujourd’hui, la mosquée de la rue Gaston Lauriau était fermée, complètement : plus un message sur sa façade. Tout d’un coup, la porte s’est ouverte : trois jeunes gens, l’un en longue abaya, en sont sortis très vite. Aucune info sur le site de la mosquée. Que s’est-il passé ? Et que va-t-il se passer, au cas où Espérance s’y serait réfugiée ? À moins que – rêvons un peu, elle ne se soit enfuie chez Kahina Bahloul, cette imame qui espère créer la mosquée Fatima, à Paris ?

…Faut-il aller faire un tour à l’église pour la trouver ? C’est maintenant l’Avent, le temps d’y chanter (d’après un chant de l’abbé Simon-Joseph Pellegrin, un familier de la Du Maine et de la Maintenon, sur l’air du vieux Noël Laissez paître vos bêtes) :
Venez Divin Messie – nous rendre espoir et nous sauver
…le temps où les chrétiens sont invités à vivre une temporalité messianique, en somme.
– Mais alors, Espérance a peut-être filé à la synagogue?… Peut-être même qu’elle était là – est-ce possible ? dans les camps où, lors de leur libération, des survivants auraient chanté Hatikvah – l’Espoir, en hébreu…?

Moi je ferai tout mon possible mais faudra que tu m’aides un peu
Et quand tu arriveras au bout pourvu que ça soit moi qui veille
On s’arrangera bien, ma vieille, pour que tu dures encore un coup
Carcasse

J’ai tout de même cherché Espérance du côté de la Cité de l’Espoir, sur l’esplanade : plutôt virtuel cette année, le Salon du Livre de Jeunesse y présente une expo d’ersatz. Bien jolies, ces fenêtres ouvertes à tous vents… Mais impossible de croiser le regard de la petite aux yeux bandés. Et d’Espérance, pas trace. Alors, j’ai failli perdre tout espoir, comme peut-être, cette drôle de bête devant une grosse poire – le dessin d’un(e) artiste dont je n’ai pas réussi à découvrir le nom.

…2027 ?…Jamais ?… Marie s’infiltre (Marie Benoliel) se déchaîne sur les boulevards parisiens, mais ne s’est pas encore infiltrée ici. Paru aujourd’hui, bourré de rv culturels, le Montreuillois du 10 décembre est déjà obsolète ( – le Gouvernement a prolongé ce soir le confinement de la culture).
ESSENTIEL ? s’indigne depuis un bon moment La marbrerie – un des nombreux lieux où dans une vie antérieure, on se retrouvait, on découvrait des artistes, on faisait la fête. Aujourd’hui, c’est « sauver Noël » qui est essentiel. Par ici, la perspective ne réjouit pas forcément tout le monde.

Z’avez pas vu Mirza? La la la la la la. – J’ai bien cru l’apercevoir, cette chienne de malheur, sur l’affiche du festival Corps en lutte : « évènement REPORTÉ au printemps ». Mais…

– Le printemps ? Quel printemps ?
Il y a trois semaines, seul le cerisier en bas de notre rue était en fleurs. Mais depuis fin novembre, ce sont TOUS les cerisiers de Montreuil ( et quelques autres espèces de fruitiers aussi ) qui fleurissent. Alors, en avril prochain…

– Ça y est ! Je la vois ! Espérance est arrivée en courant, par l’avenue Walvein. Elle s’est arrêtée un instant, près de la Grande Ourse. Rue de la Convention, sur son passage, un colibri battait des ailes. Puis, je l’ai perdue de vue.

Alors, en attendant de la retrouver, on peut redécouvrir Anne Sylvestre. Et Valéry Giscard d’Estaing l’autre grand président (c’est le titre du livre que Philippe Ratte vient de publier chez Odile Jacob) que sa carcasse a quitté quelques jours avant que ne l’abandonne celle qui, à force de se balan-balancer, s’est envolée tout là-haut, parmi les oiseaux.
– Et n’oubliez pas : même en solo, ou à deux, ou trois, ou quatre… le pied, c’est d’être un fauteu-eu-eu-eu-euil.….

4 commentaires sur « ESPÉRANCE. perdue »

  1. « l’espérance ne déçoit point car l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le saint esprit qui nous fut donné ». Epître de st Paul aux Romains chapître 8 verset 5.

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    1. …Heureux sans doute, oui, celles et ceux qui croient en cette divine Espérance ! Pour ma part, c’est cette petite espérance de rien du tout que je voulais évoquer – celle qui surgit au coin de la rue, puis s’enfuit, et qu’il nous faut sans cesse tenter d’attraper. Celle qu’on poursuit en rêve, et celle qu’on étreint furtivement, dans l’effort, le travail, l’engagement… Celle née de rien, un sourire, un poème, un arbre, un oiseau – un chien.

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