la môme Néant

d’ici et d’ailleurs, 19
Montreuil, Paris, 3 novembre 2020

Quoi qu’a dit?
– A dit rin.
Quoi qu’a fait?
– A fait rin.
Jean Tardieu, La môme Néant

Devant la porte des profs du collège-lycée Jean Jaurès, le 3 novembre

Samedi 31 octobre, fiesta macabre dans les commerces et quelques chaumières du coin. Dimanche 1er novembre, fête de « tous les saints ». Lundi 2 novembre, fête des morts – et deuil national dans les écoles en mémoire de Samuel Paty. Confusion générale. Même le curé y perd son latin : « Suite à un malencontreux contre ordre ce matin, nous avons finalement décidé de ne pas célébrer comme prévu toutes les messes du 2 novembre…
Les défunts de cette année seront évoqués dans les célébrations de la Toussaint. » (site paroissial)
…Les saints-les défunts-les vampires-les martyrs, sans oublier la môme Néant – déjà qu’on y comprenait rin, vous imaginez le travail à l’école, pour les enseignants chargés du débat masqué autour des caricatures-décapitations-liberté d’expression… ?

Pour ceux-celles qui n’auraient pas renoncé à extraire du chaos une parcelle de sens à transmettre aux enfants, cet article de François Héran :

 https://laviedesidees.fr/Lettre-aux-professeurs-d-histoire-geographie.html (merci F.P.) 

Sur le chemin des écoles, ce matin comme hier, plus d’inscription sibylline près de la petite porte des profs du collège-lycée : recouverte, pendant le week-end des saints et autres morts.
Plus de message des colleuses en face de l’école primaire.
Plus de liste des x femmes assassinées au dos du Nouveau Théâtre : décollés, tous leurs noms.
Plus rin.

Plus non plus de dessins obscènes en face de la mosquée de la rue Gaston Lauriau. – Au moment où certains s’amusaient à les taguer, de jeunes musulmans de Lodève défendaient l’accès à la cathédrale  – et d’autres aussi ailleurs en France, paraît-il.

https://www.midilibre.fr/2020/10/30/de-jeunes-lodevois-musulmans-protegent-la-cathedrale-9172911.php (merci Madeleine)

Ce matin, des employés municipaux recouvraient encore d’autres tags, en face de la mosquée.

En face de la mosquée, rue Gaston Lauriau, le 3 novembre.

Plus de confinement, tout le monde est dans la rue, masqué – démasqué.
Plus d’affichages sauvages pour défendre le service public.
Plus personne aux balcons à 20h pour acclamer les soignants.
Plus de cloches à toutes volées chaque soir depuis le glas du 29 octobre (l’attentat de Nice).
Pas de tueurs, pas de policiers sur le parvis de Saint Pierre-Sait Paul. Plus de messe non plus : les derniers fidèles ont quitté l’église après celles du 31 au soir et du 1er au matin.
Tout juste si on entend hurler les sirènes vers l’hôpital dans le brouhaha ordinaire.
Le virus tue aujourd’hui plus qu’en avril dernier semble-t-il, mais ces jours-ci c’est la fête à la camarde : même pas peur. Peur de rin.

– Plus rin de rin, alors ?

…A quoi qu’a pense?
– A pense à rin.
Pourquoi qu’a dit rin?
Pourquoi qu’a fait rin?
Pourquoi qu’a pense a rin?

…La môme Néant, peut-être. Mais les mômes d’ici…

Hier, ils étaient tous là pour la minute de silence. Ce matin rue de Romainville, posté(e)sur une poubelle, un(e)jeune lycéen(ne) bloquait la petite porte aveugle du lycée. Autour de l’entrée principale du lycée Jean Jaurès,  tout au long de la rue, des grappes d’élèves. À l’entrée du collège, des vigiles de l’Académie de Créteil avaient levé le blocus dès potron-minette pour permettre aux collégien(ne)s d’entrer.

– On proteste parce qu’aucune mesure sanitaire n’est respectée dans le lycée, disent les jeunes ! De toute façon les consignes sont impraticables. Et puis on cache le nombre réel de malades.

– A’xiste pas.

– Ah bon, vraiment ?

…Le 30 octobre, je longe les murs de l’hôpital Saint-Louis. Des fresques sur le mur d’en face me font franchir la rue pour les photographier. Un homme m’apostrophe en espagnol – il parle très vite avec autorité – il veut que je le filme – se poste pile devant la fresque – fait une déclaration politique puis s’en va après m’avoir donné son numéro pour que je lui envoie la vidéo.
Je reste là. Le cœur (l’âme) sur la main : j’ai rien compris au film.

… Môme Néant, que t‘xistes ou pas, je peux t’assurer que la mort est bien vivante par ici. Prospère et pacifique.
– Dans les rues, de petits masques morts-vivants ont fait la java l’autre soir : Peaux noires, masques blancs, et vis versa.
– Au cimetière, dimanche, il y avait foule pour fêter les défunts.
– Au cimetière, chaque jour, tout le monde est là, bien rangé dans ses carrés. Ceux qui sont tombés pour la patrie, ceux-celles qui croyaient au ciel, ceux-celles qui n’y croyaient pas… Israëlites, chrétiens, musulmans…

Au quartier gitan du cimetière de Montreuil

… Mais les plus vivants de tous, vois-tu, ce sont incontestablement les Gitans. Chez eux, la table est mise, le café est servi, le verre d’alcool aussi. Un châle blanc sur les épaules de celui dont la stèle n’est pas encore dressée. Ils sont là, en famille, beaux dans leurs tombeaux comme les Époux du sarcophage étrusque, au Louvre – unis, à la vie-à la mort.

PS, comme promis.
Les airs préférés des filles ici, du primaire au collège : ceux de Nicki Minaj et Ariana Grande. Quant aux garçons, il semble que personne ne puisse s’ôter de la tête les trucs les plus nuls qu’on entend partout (Dadju, Wejdene), mais que 2Pac et Zelda&Chill sont plutôt pas mal. Et Bob Marley bien sûr, moins mort que jamais.

2 commentaires sur « la môme Néant »

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