Sensitive

D’ici et d’ailleurs, 107
Montreuil, 23 mars 2025

…surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! 
Lautréamont, Chants de Maldoror, VI

Le vendredi soir, c’est le soir des poubelles jaunes.
– Est-ce l’arbre-mime qui imite ses voisines, ou la batterie de bacs qui s’accorde au mimosa ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que la haute note jaune, celle que Van Gogh cherchait désespérément en Arles – dans le quartier, c’est lui.

Mimosa, lat. des botanistes, tiré de mimus «mime» par allus. au fait que certaines espèces se contractent quand on les touche, qui explique également les dénominations pop. de herbe sensible, sensitive, herbe vive.

Depuis des semaines, il fleurit au pied de l’immeuble d’à côté. Il y a des pays où il s’épanouit à la belle saison – je l’ai vu illuminer un jour d’août pluvieux en Bretagne – mais ici comme dans le sud, c’est l’arbre qui fait mentir l’hiver. Voir midi dans la nuit noire. Le soleil crever le brouillard.
Et le clavier des boîtes à ordures, pousser un cri d’or pur, à l’unisson de ses dix touches.

Rien de discordant, donc, ni rien de fortuit, dans cette rencontre nocturne, pas loin du coin de la rue de Romainville et de la rue Danton – mais une franche et belle harmonie.

– Mimosa, herbe sensitive, sans toi je n’aurais pas repris le fil de ces pages, suspendues le temps peut-être, de laisser passer la morte saison. Pas osé non plus déposer ici d’autres images – raconter d’autres rencontres.

C’était ce mois-ci, à Romainville, au bout de la rue en fait – un de ces jours où il faisait si froid, et où le ciel était si bleu, et c’était le matin.
Je suis descendue du bus, et derrière de hauts immeubles, je suis tombée sur une petite église, toute seule dans le soleil. Une église de campagne si tranquille, qu’elle faisait le silence autour d’elle, et te projetait un siècle, ou mille ans ailleurs, ou derrière toi.

Je suis entrée dans le café, sur la place, pour prendre un café. TOILETTE – TÉLÉPHONE, disait le panneau accroché au plafond, bien en vue.
Assemblage surréaliste, pour le monde d’où je venais, et où j’étais condamnée à retourner. Accord parfait, me disait le silence de la place, et du café désert.

J’ai suivi la flèche, descendu l’escalier : au sous-sol, il y avait bien, à côté de la porte des WC, la cabine téléphonique. Et j’étais bien en train de faire un voyage dans l’espace-temps. J’avais rejoint ce monde où une conversation téléphonique était aussi privée que l’usage des WC, confidentiel. Aussi jubilatoire, dans le secret d’une cabine hermétiquement close, qu’une échappée belle, seule, dans le café du coin de la rue, un lieu aussi commun qu’intime.

Le lendemain, on n’y voyait pas à trois mètres.

Quand ça s’est levé, un peu, je remontais l’avenue qui mène vers Rosny-sous-bois. Il faisait gris, et j’ai levé le nez sur la petite maison défraîchie qui fait l’angle de la rue Saint-Denis. Le café hier encore si animé, avec ses pimpants décors bleu azur – aujourd’hui épave au rebut.
– Qui reprendra Le Soleil de Montreuil ?
– Mimosa, herbe vive, où es-tu ? De l’hiver au printemps, on a besoin de toi.

P.S. du 5 octobre 2024 au 2 février 2025, à la Fondation Vincent Van Gogh, en Arles, l’expo « La haute note jaune » explorait » les limites de l’expressivité » et « tentait de les dépasser – que ce soit sur le plan formel ou émotionnel ».

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