50,2

D’ici et d’ailleurs 102,
Lézinnes, le 10 juin 2024

50,2 : c’est le score du Rassemblement National aux élections européennes, dans le village où sont les tombes de mes aïeux, et la vieille maison qu’ils nous ont transmise.
Lézinnes dans l’Yonne, pas loin de la Côte d’or, à 10 km de Tonnerre, 34 de Montbard, et 47 d’Auxerre. 663 habitants en 2021 – la commune se dépeuple lentement mais sûrement, la population vieillit.
À l’entrée du village, tout de suite, on est prévenu par un panneau retourné : ici, il y a des gens en colère. Les mêmes peut-être, que ceux qui depuis des années déjà ont installé le réseau Protection participation citoyenne, « en liaison immédiate avec la Gendarmerie Nationale ». Ici, on est « vigilant ». Personne dans les rues, mais tout le monde vous a à l’œil.
Puis, on arrive au canal de Bourgogne, et au quartier de La Chaux. Aux ruines des fours à chaux qui ont fait la fortune de ce village agricole et ouvrier.

l’ancien site industriel, à La Chaux

– Lézinnes, son industrie :
Quand vers la fin du 19è siècle, des usines de ciment se sont installées dans la vallée, elles ont ruiné les artisans chaufourniers, et donné du travail à beaucoup de monde, d’ici et d’ailleurs. Puis Lafarge a repris la grosse cimenterie de Frangey, près d’ici, le village s’est agrandi, la campagne s’est couverte d’une poudre blanche. Mais l’entreprise a eu des ennuis, l’usine a périclité, la CGT a tempêté – jusqu’à la fermeture définitive, en 2012. Restent bien sûr quelques petites entreprises  familiales de bâtiment, électricité,  transports…

Lézinnes. INSEE. Dossier complet – 2020POP T0 – Population par grandes tranches d’âges :
60 à 74 ans – 2009 : 20,7% / 2020 : 27,2%
75 ans ou plus – 2009 : 13,4% / 2020 : 16,4%
FOR T2 – Diplôme le plus élevé de la population non scolarisée de 15 ans ou plus en 2020 : Aucun diplôme ou certificat d’études primaires : 28,7%
CAP, BEP ou équivalent : 36,7%
Diplôme de l’enseignement supérieur de niveau bac + 2 : 9,1%
Diplôme de l’enseignement supérieur de niveau bac + 5 : 2,3%

EMP T4 – Taux de chômage des 25 à 54 ans : 4,2 – Taux de chômage des 55 à 64 ans : 6,1
Médiane du revenu disponible par unité de consommation : 22 330 euros
ACT G2 – Part des moyens de transport utilisés pour se rendre au travail :
Transports en commun : 1,5% / voiture, camion ou fourgonnette : 83,6%

Lézinnes, son agriculture :
Le remembrement des années 1950 a fait d’un paysage de bocage, un pays de vastes openfields bordés par les forêts. Au village, quelques grosses fermes bien closes, et un exploitant aux abois, après l’inondation du printemps : route nationale, au coin du canal, il a accroché une banderole : Tsunami, noyés par l’écluse 85. Il accuse VNF – Voies Navigables de France. Je vous ai raconté cette histoire, le 15 avril.

Lézinnes, son tourisme :
Le canal de Bourgogne, toujours – un tourisme au compte-gouttes, l’été. Quelques cyclistes qui ne s’arrêtent pas toujours, entre le château de Tanlay et celui d’Ancy-le Franc. Et plus rares encore, les bateaux. Encore faut-il qu’ils puissent naviguer, sur cette eau remplie d’algues. Justement ce matin, sur le chemin de halage, un préposé de VNF surveillait nonchalamment la machine qui extrayait les longues masses vertes… Il en faudrait bien une dizaine, pendant des jours et des jours, pour en venir à bout.

Lézinnes, ses services :
La gare où s’arrêtaient les trains du PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) jusqu’à la fin du siècle dernier est emplie d’herbes folles, et l’hôtel-bar-restaurant de la gare, de fantômes. La Région a mis en place un système de taxis, mobigo : moyennant 3,5 euros, pour peu que tu sois domicilié au village, tu peux être transporté de chez toi à la gare de Tonnerre. Pour le reste, débrouille-toi. Aussi, les chiffres de l’INSEE sont formels : tout le monde ou presque, ici, a une voiture.

Au centre du village, la radieuse départementale 905, que depuis toujours on appelle la route nationale. Jadis, elle était bordée de beaux arbres. On les a coupés, il y a bien longtemps. Il y a une trentaine d’années, les jeunes s’asseyaient au bord de la route, à regarder passer les voitures et les motos. Depuis, on a supprimé les bancs, on a installé un feu rouge, et un panneau lumineux municipal, qui aujourd’hui invite les habitants à « désherber » un village bétonné, dé-végétalisé depuis belle lurette.
Pas encore assez, sans doute.

La poste a été remplacée par une agence postale, avec son flambant distributeur de sachets canins à côté de la boîte aux lettres – il y en a un aussi contre le mur de l’église, construite entre les 13è et 15è siècles – vigilance et propreté, toujours.
Lorsque le médecin généraliste est mort (il travaillait beaucoup, trop peut-être), il y a bientôt vingt ans, ses successeurs éphémères n’ont pas été remplacés. Sa belle maison est devenue résidence secondaire – celle d’un diplomate, dit-on. Tous les cabinets médicaux de la région sont saturés, et près d’ici, l’hôpital de Tonnerre est chroniquement menacé de fermeture.
Le ramassage scolaire amène à Lézinnes les enfants des villages des environs. À midi, on les entend chahuter : ils vont déjeuner à la cantine qui jouxte notre jardin.

Lézinnes, ses commerces :
La supérette avait fermé, longtemps. Cet hiver, elle a été reprise par une famille venue du Sri Lanka – ouverte chaque jour, on y trouve à peine l’essentiel. À côté, sur la route nationale, l’unique café-restau est le plus souvent désert. À la sortie du village par contre, un grand Routier marche bien – travailleurs en semaine, familles le samedi, pizzas le soir. Il y avait deux boulangeries, l’une d’elles vient de disparaître, et avec elle, le jardin partagé dont s’occupait la boulangère : déserté, il est en friche. La boutique de presse et bureau de tabac est en vente – comme tant de maisons, dans le village, et les villages des environs. Mais il y a encore deux salons de coiffure, et surtout, une pharmacie – les clients y viennent de très loin.

Répartition des immigrés à Lézinnes : 20 hab., 3,0% de la population (données nationales : 9,9%) dont 14 femmes, et 13 personnes de 55 ans et plus.
NB. Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France (…) Certains immigrés ont pu devenir Français, les autres restant étrangers (…) La qualité d’immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée même s’il devient Français par acquisition. C’est le pays de naissance, et non la nationalité à la naissance, qui définit l’origine géographique d’un immigré (définition INSEE)

Lézinnes, ses loisirs :
Dans le gîte communal près du camping, au bord de la rivière, il y a la bibliothèque municipale, et chaque été, une petite expo photo. À côté, pendant les vacances scolaires, un local accueille le centre aéré, le « club des lézards ». Tu peux aussi louer un bateau au club de canoë-kayak, pique-niquer, ou jouer au basket. Ou plonger dans l’Armançon, du haut du déversoir : on vient de retirer le panneau « baignade interdite » – reste le panneau « baignade non surveillée ». De toute façon, à part quelques gamins, les gens d’ici n’y vont pas. Chaque été, sur la petite plage de galets, on croise un couple « mixte » qui se baigne et écoute de la musique, des vacanciers qui ont une maison ici, comme nous : elle très blonde, lui très noir – la seule personne « de couleur » au village, en plus de nos petits-enfants franco-sénégalais, et désormais, des épiciers sri-lankais.

J’ai commencé cette chronique ce midi, à la terrasse de chez Mémé, dans le village d’à côté, au bord du canal. Il faisait beau, il y avait du vent.
Quand je suis entrée dans le bar, seule, avant déjeuner, les gars accoudés au comptoir se sont tus.

La « route nationale » à Lézinnes, en 1911

16 commentaires sur « 50,2 »

  1. Bonsoir Marie, c’est un dxcelleng text que j’ai lu avec un immense plaisir. C’est un endroit que j’aurais vraiment voulu visiter. J’adore les voir les villages de France. Cet endroit est magnifique, calme, loin de la pollution humaine. Dommage que j’ai pas eu l’occasoon d’y aller. La prochaine fois, faudra le mettre dans le programme🤣

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    1. merci beaucoup, Pierre-André.
      Un bel endroit, oui, mais un monde très difficile et sombre, aussi : c’est ce que j’essaie de faire comprendre, dans cette page, au lendemain d’élections qui font du Rassemblement National le premier parti de France.

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      1. 1000 excuses Marie pour mes petits morceaux de commentaires « partis » sans que je le souhaite…. ainsi je vous remerciais Marie de votre merveilleux récit. Tout au long de sa découverte, ma balade dans Lézinnes était concrète. O combien de beaux souvenirs de mes vacances lézinnoises chez mes grands-parents ! Mes grand-père paternel et père étaient maréchal ferrant sur la route Nationale… oui, toujours baptisée « nationale ». Oui, dans ma jeunesse 7 épiceries et O combien de vacanciers pécheurs chez Mémé (pas à Ancy le Libre), et LE cinéma avec notre judith ! L’entracte était en plein milieu du film… les bancs grinçaient et, souvent de la poudre à éternuer… les affiches/films étaient collées sur le mur derrière notre pharmacie. Quant à la micheline qui s’arrêtait à la gare de Lézinnes… elle emportait mes enfants, copains, cousine & vélos jusqu’à Tonnerre pour revenir par le chemin de halage. Peu nombreuses sont les péniches et pénichettes au vu de toutes ces algues qui sont présentes dans le canal de Bourgogne…D’ailleurs toujours pas de retour de la plaque « canal de Bourgogne » ! Ouf, celles de « Lézinnes » ont été reposées il y a peu après des décennies d’absence !…Chez « Bruyère » les vacanciers s’arrêtaient pour déguster les délicieuses bières de la patronne irlandaise (si je me souviens bien !) Personnellement je deviens très bavarde avec les néo lézinnois… je leur raconte le passage du garde champêtre au bout du jardin, les autos tamponneuses sur la place de la mairie lirs des festivités du 14 juillet, la petite passerelle qui existait vers le centre/canoé et que dire de notre beau saule pleureur abattu au divé à mon grand désespoir ! Allez aujourd’hui deux associations tentent d’offrir de belles activités voire événements (les lézards et le récent comité des fêtes). A toute prochainement pour parler de l’ouvrière qui chaque jour vers 16 h 00 allait déposer à la poste les précieuses commandes des « Corsets ». Bien cordialement Viviane qui aime « son » Lézinnes.

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      2. Que de souvenirs partagés, Viviane ! merci à vous de les ranimer ici.
        Je vous avoue que ma chronique est moins un éloge d’un monde disparu, que l’évocation de la disparition de (presque ! heureusement, il y a les lézards et le comité des fêtes!) tout ce qui a fait la vie d’un village, dans un passé pas si lointain, et sur les liens de cause à effet entre cette déréliction du monde rural (sans parler de la dégradation du service public, qui ne lui est pas propre) – et une actualité brûlante, et vertigineusement inquiétante.
        bien cordialemnt à vous,
        marie

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  2. Précy-à-Mont RN 55,92% Droite LR 8,57% Macroniste 6,94% Patri animaliste 5,31% Alliance rurale Lassalle 4,90% La France fière Maréchal 4,49% Glucksmann 3,67% (9 voix) LFI 2,45% Roussel 1,63% EEV 1,63% Frexit 1,22% Il y a des jours où on se sent un peu seuls… Je t’embrasse…

    Patrick Besenval 06 80 31 15 28

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  3. Bonsoir Madame Gautheron,

    J’ai tout lu, et j’ai tout reconnu… la vie et la décadence de notre petit village! Le repli sur soi et la peur infondé des autres….que l’on préfère pointer du doigt que d’aborder…! J’ai grandi dans ce village…je suis parti 20 ans près d’Orléans , où l’insécurité était plus grande mais les gens moins haineux. J’y suis revenu voilà 2 ans …et j’ai beaucoup de mal à comprendre ce sentiment aigre qui règne ici … alors qu’on a tout pour être bien pour celui qui s’est se poser, regarder, étudier et connaître! C’est fou quand je vois le résultat des élections, et surtout du nombre d’électeurs ( que j’ai croisé en allant voter) je leur ai tous dis  » Bonjour »…

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    1. Bonsoir Laurent, merci pour votre message – ce partage d’expérience d’un lieu qui nous est commun, et d’émotions.
      Sans doute aurons-nous l’occasion de poursuivre cet échange, sur place. Bon courage en attendant – je viens de rentrer à Montreuil…

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