D’ici et d’ailleurs 87,
Montreuil, 9 juin 2023
Abu’l’Alâ, fils de Solaiman, la cécité t’a fait un don précieux,
car si tes yeux voyaient la génération présente, ta prunelle n’apercevrait pas un seul homme
Al-Ma’arrî

Porte de Montreuil, à mi-chemin entre le siège de la CGT et le marché aux puces, quelque part entre Carrefour et Décathlon, juste au seuil de la rue de Paris, se dresse depuis trois mois La Tête.
Une grande tête de barbu. Monumentale.
Son bronze est sombre, sa barbe est longue, son front ridé et ses yeux creux – ce sont des yeux morts de poète aveugle, des yeux d’aède.
Les yeux du poète et philosophe syrien Abû l-‘Ala al-Ma’arrî né en 973 et mort en 1057 dans la ville de Ma’arrat, en Syrie. Un poète pourfendeur d’obscurantisme, singulièrement des fanatismes religieux de tous poils.
Au printemps arabe de 2011, la ville de Ma’arrat s’est révoltée – elle a été bombardée, et la statue d’al-Ma’arrî, décapitée.
Depuis, une nouvelle statue est née.
C’est le sculpteur syrien Assem al Basha qui l’a fabriquée – c’est fou comme il ressemble à al-Ma’arrî – et depuis mars dernier, elle a été érigée ici, « réfugiée à Montreuil jusqu’à ce qu’elle puisse retourner dans une Syrie libre de tout despotisme, extrémisme et occupation », dit son cartel.
C’est une statue en exil, en somme. Qui attend de retourner dans sa ville, son pays.
« Financée par des dons des survivants des geôles syriennes (Association Njoon) », dit encore le cartel.

Hier à Annecy, quatre tout petits enfants et deux vieillards étaient attaqués au couteau par un Syrien qui a crié Au nom de Jésus-Christ comme d’autres Allah Akbar. Un homme en situation régulière qui avait obtenu l’asile politique en Suède, mais pas le statut de demandeur d’asile en France. Un terroriste ? Peu probable, mais on ne sait jamais.
Soustraction : crime sauvage moins islamisme moins sans papiers (moins terrorisme) – reste = arabe (puisqu’à part une minorité kurde, la plupart des Syriens musulmans ou chrétiens sont arabes) plus migrant. Bien assez pour stigmatiser Les Arabes et Les étrangers.
Reste aussi = fou.
Car il faut être fou furieux pour agresser des bébés au couteau, non ?
– D’accord. Un fou.
Mais est-ce que les sociétés qui ont permis que soient massacrés ou massivement déportés et exterminés des enfants par milliers, d’une guerre à l’autre, d’un génocide à l’autre, ont nommé leurs bourreaux, « fous » ?
…Al Ma’arrî, à l’aide.
En attendant un mot de toi – un simple silence éloquent de ta part serait déjà très bienvenu, je me dis que cette tragédie a au moins le mérite d’imposer une évidence : ce n’est pas au nom d’une religion en particulier qu’un être humain peut devenir criminel, mais au nom de toutes, en général, et sans exception.
Foi, incroyance, rumeurs colportées,
Coran, Torah, Évangile
Prescrivant leurs lois …
À toute génération ses mensonges
Que l’on s’empresse de croire et consigner.
Une génération se distinguera-t-elle, un jour,
En suivant la vérité ?
Deux sortes de gens sur la terre :
Ceux qui ont la raison sans religion,
Et ceux qui ont la religion et manquent de raison.
Tous les hommes se hâtent vers la décomposition,
Toutes les religions se valent dans l’égarement.
Si on me demande quelle est ma doctrine,
Elle est claire :
Ne suis-je pas, comme les autres,
Un imbécile ?
Al-Ma’arrî