Joyeuses fêtes

D’ici et d’ailleurs 77,
Paris, Montreuil, 26 décembre 2022

Fleurs-concept.
Épicéa 1,25/1,50.
16, 99 euros.
Ho ho ho. Joyeuses fêtes.

6 novembre :
À peine célébrée la fête des morts et de tous les saints, alors que les chrysanthèmes ont tout juste commencé de pourrir sur les tombes,
des tombereaux de sapins coupés au pied s’offrent déjà sur le trottoir, devant les supérettes et dans le hall des supermarchés. Le vieux Rom qui fait la manche, l’hiver, à l’entrée du Franprix du coin ne sait plus où se mettre.
10 décembre :
Noël est dans 15 jours, et le premier squelette de sapin git déjà devant l’immeuble d’à côté. Cramé. Dépouillé. D’autres suivent, de plus en plus nombreux jusqu’au 25.
Joyeux non-anniversaire today. Joyeuses fêtes sans jour de fête.

« Il faut entre 5 à 10 ans, selon la taille désirée, pour obtenir un sapin de Noël », dit le site du Ministère de l’agriculture. Mais rassurez-vous, on peut « valoriser » leurs cadavres – à condition de les collecter : « Le broyat de sapin est utilisé dans les espaces verts municipaux. »
Et puis les dommages générés par nos monocultures de résineux, c’est cacahuète à côté de la déforestation de pans entiers de la planète. En Amazonie, elle a battu des records cet automne, avant les élections et l’éviction du Président qui la promouvait.
Joyeuses fêtes.

Coupe du monde de Football :  ce furent de si Joyeuses fêtes. La victoire finale, surtout – une apothéose. Braquemart, costume folklorique, bûcher symbolique… tout y était. Sans parler des papouilles présidentielles, à même le terrain.
Je connais même quelques grincheux qui au début, refusaient de s’esbaudir, mais qui se sont réveillés quand le Maroc, première nation africaine au monde à arriver en demi-finales, a affronté la France. Pour retomber dans le marasme, j’avoue, à la fin du match.

Je connais aussi des gens à qui les noyades de migrants, l’exil, les guerres, les épidémies, la misère, les famines, le terrorisme, le racisme, le sexisme et le reste gâtent un peu la fête. Et d’autres, à qui la débauche de la Sainte Église catholique et apostolique, gardienne du Temple du petit Jésus, gâchent un peu Noël. Ceux qu’émerveille encore le Grand Paradoxe du Christianisme :
À naître, Dieu se plaît …chantait un vieux Noël bourguignon,
Un Dieu dans la faiblesse
Trouve son élément…

– Alors, allons ! Un petit effort d’imagination ! Joyeux Noël ! Buon Natale ! Feliz Navidad ! … Ça devait être si beau, Noël, avant les sapins, Jingle Bells, le Black Friday et tout le tintoin !

…Mais je m’égare, en pleine trêve des confiseurs. Je ferais mieux de vous parler de la vraie vie, et de vous raconter ma dernière escapade dans la capitale, il y a quelques jours.

– Comme je remontais la rue d’Ulm à la nuit tombante, entre le Panthéon et l’hôpital Curie, je bute presque sur le corps d’un vieux monsieur à barbe blanche, un Père Noël étendu en travers du trottoir, pas loin d’une bouche de chaleur, pieds nus, tête nue, tout le contenu de son cabas de victuailles éparpillé autour de lui. – Mort ? Ivre-mort ? Assoupi ? J’appelle les pompiers du 5è.
– Ne vous inquiétez pas madame, me répond aussitôt une voix jeune et fraîche. On le connaît bien. Tout va très bien. Il ne veut pas bouger de là.
De fait, une heure plus tard, quand je repasse rue d’Ulm, le vieux monsieur et son libre arbitre n’ont pas bougé de là.

Alors, puisque tout va très bien dans le meilleur des mondes possibles, souhaitons-nous donc de Joyeuses fêtes – mais à la manière paillarde du vieux Noël bourguignon, et sur le ton gaillard des Quatre Barbus s’il vous plaît – au nez et à la barbe de Santa Claus :

Ami qu’on se réveille
Voici l’enfant nouveau
Caressons la bouteille
Faisons fête au tonneau
Ne parlons plus de guerre
Chacun y meurt de faim
Pâmons-nous à grands verres
Buvons jusqu’à demain.