D’ici et d’ailleurs 67,
Houat, Hoëdic, 18 – 20 juin 2022
Voilà un grand vol de mouettes, peut-être plus de cent. L’endroit d’où elles se sont envolées est semé de plumes blanches. Avant-hier, quand il faisait si beau soleil, une querelle de goëlands a eu lieu au-dessus de nous (…) Ces oiseaux sont très clamorous – et aussi glamorous, superbes en vol, d’une blancheur éclatante comme traversée par le soleil.
Henri Thomas, Le Migrateur.

Il y a des années, un Houatais abandonna son bateau au large. Le bateau revint tout seul s’échouer sur l’île, pas loin du Vieux Port. Chaque année le sable l’a recouvert davantage. Il est aujourd’hui complètement enseveli. Il s’appelait Le Migrateur.
Un beau jour Henri Thomas, formidable piplette et pilier de Gallimard, lui-même émigré à Houat, publia Le migrateur. Il eut le tort d’en dire trop sur les Houatais, et fut contraint à l’exil : ll ré-émigra sur le continent, et finit ses jours à Quiberon, près de Port-Maria.
…Il est tellement plus facile de parler des bêtes à plume et à poils – des ajoncs, des lichens ou du sable que de nous autres, animaux humains.

Mon petit oiseau a pris sa volée
A pris sa – à la volette
A pris sa – à la volette
A pris sa volée
Entre Houat et Hoëdic nidifient, naissent et s’envolent toutes sortes d’oiseaux migrateurs. Ces hirondelles qui vous poursuivent au ras de la lande. Ces passereaux qui rasent les vagues, encerclant le nageur de leurs cris doux.
« L’Office français de la Biodiversité, la commune d’Hoëdic et le Conservatoire du littoral ont signé une convention de partenariat pour l’installation d’un camp de baguage des passereaux en migration prénuptiale » : sur cette île, à la saison des amours, plein de petits oiseaux se voient passer la bague au doigt par des ornithologues du Museum d’Histoire Naturelle.
Des Pouillots véloces et des Pouillots fitis,
Des fauvettes à tête noire, des Rougegorges familiers, et bien d’autres.
Le site d’Hoëdic, dit le bulletin de Natura 2000, est vital « pour le repos et la constitution de réserves de graisse pour les passereaux qui effectuent parfois de longues migrations, depuis l’Afrique jusqu’à l’Europe du Nord parfois ! ».
On veut bien le croire.
Ici, souffrent aussi la minuscule Océanite tempête, qui ne rejoint le rivage que pour ses amours, le Puffin des Baléares, le Puffin des anglais et l’Huîtrier pie, qui risquent également de disparaître.
Et puis cet oiseau qui nous est si familier – non pas ce spirituel Goëland inventé par les hommes pour célébrer la vocation de certains d’entre eux à s’élever au-dessus du commun des mortels – mais le vrai Goëland argenté, celui qui vous réveille au petit matin de son cri âcre, et vous pique votre casse-croûte dès que vous avez le dos tourné : lui aussi, il se raréfie sur ces côtes. Heureusement, le Goëland marin et le Goëland à pattes jaunes sont moins menacés.
Parmi tous ces oiseaux, une espèce semble particulièrement en danger : le Gravelot à collier interrompu. Une fois arrivé des pays du Sud, ce petit oiseau s’installe dans le sable, en haut des plages. À peine visibles, son nid, ses œufs y sont alors si vulnérables…

L’autre jour à Houat, je marchais sur la plage grise, au sud de Salus, dans la lumière éblouissante. J’ai presque buté sur un petit panneau, une corde tendue sur la grève – une cage même, pour protéger sa couvée – louable et dérisoire sanctuaire du Gravelot.
À Hoëdic, ce n’est pas la circulation des véhicules qu’on dévie – pas plus qu’à Houat, on ne roule sur les sentiers, mais celle des piétons ; l’oiseau qui s’affiche sur l’écriteau n’est pas là pour faire joli : c’est lui, le gravelot, qui réclame votre respect.

Sédentaires ou migrateurs, sur ces îles, les oiseaux sont en péril parce qu’on les DÉRANGE. Le 14 avril dernier, une mesure a été prise pour interdire l’accès de l’île aux Chevaux, au large de Houat : DÉRANGÉES, les grandes colonies de Cormorans huppés et de Goëlands marins qui y vivent sont maintenant menacés. Le 29 avril, une grande réunion Natura 2000 a formulé les objectifs majeurs des deux îles : « la canalisation et la gestion des flux touristiques, et la gestion des herbes exotiques envahissantes ».
Pendant longtemps, les îliens se sont exilés sur le continent : la terre et la mer ne les nourrissaient plus. Il y avait une véritable colonie de Hoëdic à La Turballe, par exemple. À l’exode des habitants a succédé la migration saisonnière des touristes, qui fait vivre la plupart des îliens désormais.
Cette année, au week-end de l’Ascension, puis à celui de la Pentecôte, il y avait plus de 200 bateaux amarrés dans l’anse de la grande plage, à Houat – bruyants plaisanciers, en terrain conquis sur le rivage, dans le village. Tous envolés, le lundi.
– Je me suis sentie violée, littéralement, m’a dit une amie houataise.
De toute évidence, du point de vue des îliens comme de celui du cormoran, l’espèce du touriste est plus envahissante que la griffe de sorcière ou l’herbe de la pampa. Plus dérangeante, et destructrice.

Alors, si je te raconte les sentiers, les dunes, les galets et les oiseaux, il faut bien que je te montre aussi ceux et celles qui étudient leur histoire, les auscultent, les surveillent.
Avant-hier, dans le Port de la Croix à Hoëdic, un jeune homme cassait des cailloux : le sac de cet archéologue rennais était déjà rempli de silex noirs – les mêmes que ceux que taillaient les îliens au Néolithique. Ici, une armada de naturalistes recense le « patrimoine naturel », et de multiples instances tentent de le conserver.
Il faut que tu voies ces palissades, ces escaliers de bois qui cette année fleurissent un peu partout. Comment on entreprend de réparer le territoire. Renforcer les sentiers. Comment on redouble d’efforts, pour protéger les dunes, certaines depuis longtemps déjà ceintes de ganivelles de bois.

À Hoëdic, on vient même d’enfermer le Menhir de la Vierge, pourtant protégé par les ajoncs, mais site touristique en haute-saison, semble-t-il : ce pan de lande où tu marchais pieds nus, et où tu allais t’étendre, au pied de cette pierre dressée, ce granit sur lequel tu posais tes mains, pour sentir la mémoire millénaire du lieu, t’y accorder au présent – il ne te reste plus qu’à le regarder de loin. Spectaculaire, seulement.
Ce matin, j’ai rendu visite à un petit menhir d’Hoëdic, celui qui surplombe le rivage, du côté du Grand Mulon, mais aussi un étang secret, caché dans les fougères et les ajoncs, avec toutes ses bêtes d’eau douce – libre encore, en plein vent.
Lorsque je m’en suis approchée, le grand corbeau perché sur son faîte y a lâché une fiente, blanche et vivante signature – et s’est envolé.


