Dakar ordinaire

D’ici et d’ailleurs 58,
Dakar, 4 janvier 2022

« Une année ordinaire, on s’en contenterait », m’écrit un ami en guise de vœux. Alors, pour bien commencer l’année, je vous envoie des images de cette vie ordinaire qui remplit les sens et le cœur, prises hier soir et ce matin dans notre quartier de Ouakam, à Dakar.
– Ici, c’est le terrain de basket, sous le Monument de la Renaissance africaine.

Terrain de basket, Ouakam

…À ces images, ajoutez le silence d’une ruelle et les ronflements d’une circulation devenue démente – il n’y a que les voitures toujours plus nombreuses pour se déplacer dans cette mégalopole qui croît à toute allure, les cris des animaux, les vrombissements des avions, les appels à la prière qui montent de centaines de mosquées, les mélopées mourides, les musiques qui explosent ici ou là…
…la brise encore tiède à 8h du matin, la poussière qui vole dans la lumière qui blanchit, la brûlure de l’air dans le soleil déjà haut, l’immobilité dans l’ombre bienheureuse, les parfums des femmes, les senteurs de la rue, la lenteur des passants, la frénésie des avenues… et l’élégance parfaite des femmes de toutes conditions, à toute heure du jour et de la nuit – étoffes royales, couleurs éblouissantes, coupes affriolantes, voiles, foulards de tête, perruques…

De chaque côté de la rue principale, de douces rues de sable. Au pied des immeubles, de belles voitures soigneusement entretenues. Des artisans ici et là, des tailleurs, beaucoup.

Des commerces partout – de l’enseigne Auchan, implantée désormais dans chaque quartier, et des riches étals des grandes épiceries, à la cabane de la marchande de légumes. À chaque coin de rue, tous les cinquante mètres, une petite boutique où on trouve les aliments essentiels, vendus en vrac, un café, un sandwich, ou quelques grammes de beurre. La boutique en bas de chez nous s’appelle Das Geschäft : le beau-frère du patron a travaillé en Allemagne, il vend des chocolats, des pâtes et des « vitamines » allemandes.

J’avais dit : « Pauvres ânes ! Qu’est-ce qu’ils endurent ! » – Tu les plains, toi aussi ? avait répliqué Amadou Koumba. C’est bien de leur faute pourtant s’ils en sont là aujourd’hui. »
Birago Diop, Les contes d’Amadou Koumba.

À chaque coin de rue, un cheval et sa lourde charrette – mieux traités en général que les ânes. Du reste, Amadou Koumba ne s’attarde pas sur leur sort. Quant aux moutons, ils naviguent en troupeaux folâtres sur les trottoirs, dans les rues, légèrement vêtus d’une toison blanche, presque rase.

Tous les trois pas, un chantier. Des montagnes de parpaings façonnés à la main, derrière lesquelles, parfois, se cache un abri de fortune. Partout, au milieu d’architectures rivalisant de fantaisie, des immeubles s’élèvent, se surélèvent – des mosquées se construisent.

Partout aussi, l’effigie de Cheikh Ahmadou Bamba, le grand maître des Mourides, si révéré  au Sénégal.

Tout près d’ici, vient d’ouvrir un Samu social flambant neuf. Certains matins, un énorme camion poubelle klaxonne à vous faire exploser les tympans : tout le quartier accourt, c’est le ramassage des poubelles. On ne trie rien : tout s’entasse et brûle à ciel ouvert, à l’entrée de la ville.

https://www.liberation.fr/international/afrique/decharge-a-dakar-une-petite-ville-dans-la-ville-que-les-autorites-ignorent-20210513_3XKW22A765DYZGLRDQH6NWAULY/

À quelques minutes d’ici, sur la Petite Corniche, les bars sympas se sont multipliés : une clientèle métissée s’y repose de la ville, barbote – un peu plus loin, des surfeurs prennent la vague…

Juste avant de fermer ma valise, je tombe sur L’Africain, de Le Clézio : un hommage nostalgique à son père, dans le Nigéria colonial d’après-guerre.

L’Afrique, c’était le corps plutôt que le visage. C’était la violence des sensations, la violence des appétits, la violence des saisons.
…L’Afrique était puissante. Pour l’enfant que j’étais, la violence était générale, indiscutable. Elle donnait de l’enthousiasme. Il est difficile d’en parler aujourd’hui, après tant de catastrophe et d’abandon.

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