la montagne qui flambe, et celle dont on ne parlera pas vraiment aujourd’hui

D’ici et d’ailleurs, 52
Lézinnes, dimanche 15 août 2021

…Je t’aime ma Montagne
Sous les cieux, elle s’est incrustée parmi les étoiles
On rêve de jours où la misère ne s’invente pas

Idir, Adrar Inu – Ma Montagne

Voici deux semaines, la Grèce brûlait, la Turquie brûlait. La Sicile, où nous devions aller chez une amie chère, brûlait.
Alors on n’est pas allés en Sicile, mais en Corse.
Au soir de notre retour, j’apprenais que dans l’Algérie déjà ravagée par l’épidémie, la Kabylie brûlait. Effroyablement. Voilà pourquoi je n’ai pas eu le cœur d’écrire cette page d’ici et d’ailleurs ce soir-là.

Voici un lien vers une cagnotte de solidarité avec les villages sinistrés de Kabylie : elle a été lancée par une adjointe au maire de Montreuil.  

https://www.onparticipe.fr/cagnottes/JpYvnVX3/participated

Aujourd’hui, je me souviens que la semaine dernière, au départ de L’Algaghjola, quelque part au nord de Calvi, c’était du chemin de fer corse que je voulais vous parler, sitôt revenue devant un écran. Camin di ferru di a Corsica. Sur les plages de Balagne, il roule au ras des serviettes des baigneurs, nombreux à le remplir – ensuite, on s’accroche à son siège, heureux qu’il n’ait pas quitté la voie, au détour de chaque courbe au-dessus de précipices de plus en plus terrifiants.

À l’intérieur, silence indifférent – les voyageurs sont maintenant des habitués. Mobilier, design… on se croirait dans le métro parisien. Au-dessus des portes des voitures, la ligne est affichée avec toutes ses stations, aussi nombreuses que celles de la ligne 9. Ici on ne change pas à Strasbourg-Saint-Denis, mais à U Ponte à A Leccia.
Arrêts facultatifs, pour la plupart. Le chef de train s’active à chaque gare – on peut acheter son billet dans le train.
À Vizzavone, en haute montagne, flux de randonneurs. Terminus Ajaccio, deux heures après Corte. Nous, on s’arrête avant.

Une fois arrivés à Bocognano, halte choisie précisément parce que sur la ligne de chemin de fer, je me suis tout de suite dit que c’était de ce village de montagne que j’allais vous dire quelques mots. Sans savoir trop à quel sujet – à propos de cette terrasse peut-être ?… Des hommes, que des hommes au-dessus du terrain de pétanque, face à la haute muraille de la montagne…

à la terrasse du Bar des Amis, Bocognano

Une fois arrivés à l’Hôtel Beauséjour, aussi désuet, et plus charmant encore que son nom, j’ai pensé que je vous parlerai plutôt de la crise du tourisme dans l’arrière-pays, tué par les locations chez l’habitant – ou bien plutôt… du patron de cet établissement, affairé mais seul dans sa splendide salle à manger de 8 mètres sous plafond, de ses murs peints au pochoir en 1920 aux couleurs du maquis, des nappes blanches et vides, et du cuisinier-serveur, un grand gaillard au foulard noué sur la tête, un parisien devenu corse à force de vivre dans le coin ?…

Entre Bocognano et Ajaccio, le chef de train porte cette fois un short. Et sur son mollet droit, qu’il a large et vigoureux, de la cheville à la cuisse, un grand tatouage de Christ en croix, pantelant, la tête pendant sur l’épaule gauche.

un mur peint de l’hôtel Beauséjour, à Bocognano

Tout le monde connaît la célèbre phrase de Pascal sur le grain de sable qui changea les destinées de l’univers…
Maupassant, Une page d’histoire inédite, 1880

Une fois repartis sur les routes – à pied, en stop, et en autobus surtout, je me suis dit que c’était de la France en Corse qu’il fallait dire un mot – la Légion étrangère à Calvi, le monument aux morts d’Ota (66 morts en 14-18 pour 900 habitants)… Puis que, non, ce serait décidément des transports corses qu’il faudrait vous entretenir. De ces deux hommes, le père et le fils d’une famille venue d’un village tunisien, à la frontière algérienne, établie à Porto depuis quatre générations (le grand-père était éboueur) qui assurent la liaison Ajaccio – Porto et Porto – Ota. Avec une grande gentillesse, et un incroyable savoir-faire. Car il en faut, du métier, pour conduire chaque jour un bus sur ces routes à une voie, le long de cette côte déchiquetée à n’en plus finir : « il suffirait d’un grain de sable… » Ils prennent nos vies en charge, au départ, et nous les rendent, indemnes, à l’arrivée.
De Porto à Calvi, c’est une maîtresse femme qui fait vaillamment la suite du parcours, à peu près aussi dangereux. À chaque étape, elle avise ses ouailles sur le ton du commandant de bord juste après le décollage. Et de fait, on décolle, très haut dans le ciel éblouissant, jusqu’au prochain col.

Un peu plus tard, en survolant la Méditerranée – traversée bien trop rapide, qu’on devrait ne faire qu’en mer – je me disais que finalement, ce serait plutôt Bocognano le sujet de la page que j’écrirai le soir-même. Obscurément, sans savoir pourquoi. Et sûrement pas le bicentenaire de Napoléon, qui des expos parisiennes, nous avait rattrapés à Ajaccio – attention, la légende de l’empereur, pas son histoire !… Napoléon partout, à rire ou à pleurer. Heureusement, au musée, il y avait un bout d’Abel Gance – forcément sublime : l’épisode de 1793 où Bonaparte embarque dans le port d’Ajaccio, de nuit, poursuivi par les meutes de Paoli…

– Puis, une fois arrivés ici, cette évidence : j’allais zapper le micro-récit de notre mini-expérience corse. En Algérie, maintenant, il y a trois jours de deuil national.

C’est une page d’histoire inconnue (car tout ce qui touche à l’existence de cet être extraordinaire est de l’histoire), un vrai drame corse, qui faillit devenir fatal au jeune officier, alors en congé dans sa patrie.
…ceci est de l’histoire, et on ne touche pas à l’histoire.

Maupassant, Une page d’histoire inédite, 1880

Enfin hier soir, en transférant mes photos, j’ai jeté un œil sur wikipédia, à tout hasard :
Bocognano, 1866 habitants en 1800 (376 en 2018), dont un bon nombre de bergers nomades et de bandits d’honneur : c’est là, à Bocognano, que Bonaparte manque perdre la vie en 1793, poursuivi par le clan Morelli – les partisans de Paoli (…il s’en est fallu d’un grain de sable) – et à Bocognano qu’une femme, en se jetant aux pieds de son mari, lui sauve la vie – Maupassant raconte ça très bien (- attention, l’histoire, pas la légende !…)

…En 1793, la Corse s’enflamme de tous les côtés. Corses, Gênois, Français, Anglais, Corses… Royauté, révolutions, tyrannies, soumission, indépendance…
…Combien de fois les montagnes de Kabylie ont-t-elles flambé, depuis que les Français ont entrepris puis achevé sa conquête, pas si longtemps après, sous un autre Bonaparte ?…

par la fenêtre du train – en Corse, ou en Kabylie ?

2 commentaires sur « la montagne qui flambe, et celle dont on ne parlera pas vraiment aujourd’hui »

  1. Ah, Marie, c’était ta fête hier, et aussi l’anniversaire de notre ami Napoléon ! Je connais ce train dont tu parles , pris avec Damien, sac au dos en 80 ? (Pauvre Damien !). Je l’ai repris dans les années 90, en février, pour aller passer à Vizzavone une semaine chez Steve Jourdain, un éveillé excentrique qui vivait avec sa Corse de femme. En me voyant arriver — j’étais la seule à descendre – le chef de gare me demande, juste pour vérifier : « Vous allez chez Madame Costa ? » (Jourdain était un pinsout et n’existait donc pas). Je vois arriver un bouledogue, ladite dame – qui m’ accueille avec : « j’espère que vous aimez marcher : ici il n’y a que ça à faire. » Bouledogue au grand cœur en fait.

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