Oratorio de Noël

d’ici et d’ailleurs, 25
Montreuil, jeudi 24 décembre 2020

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone…

Verlaine, Nevermore

Once upon a Midnight dreary
Une fois, sur le minuit lugubre…
– « C’est quelque visiteur, murmurai-je, qui frappe à la porte de ma chambre; ce n’est que cela et rien de plus. » Only this and nothing more.
Ah, distinctement, je me souviens que c’était dans le glacial décembre…

E.A. Poe, Le corbeau, traduit par C. Baudelaire

KRAKRAKRAKRAKREK
Cette année, les pies ont colonisé les arbres de notre jardin. De grandes pies luisantes au bond lourd et élastique. Un cri brutal qui fait fuir les oiseaux. Merles, bergeronnettes, mésanges, moineaux… KRAKRAKRAKRAKREK. Tout l’été. Tout l’automne. Et pourquoi pas tout l’hiver encore, tant qu’elles y sont ?

Je poussai alors le volet, et avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute… il se percha, s’installa, et rien de plus… Only this and nothing more…
…Le corbeau dit : « Jamais plus ! »
…Quoth the Raven, « Nevermore ! »

Depuis trois jours c’est l’hiver. Les jours rallongent et ce soir les chrétiens fêtent Noël. Les autres aussi, si possible. « Jour de fête aujourd’hui sur terre ! » chantent les catholiques depuis le dernier concile : plus universel peut-être, mais tellement moins noël que le bal musette des bergers musant, cornemusant – « Jouez hautbois, résonnez, musettes ! »
– Noël ? … Je télécharge les images récoltées ces derniers jours dans les rues, en vrac…
– …Oui ! il y a des images de Noël !

– sur la place de l’église, un olivier et un sapin ont été transplantés côte à côte, le premier voici quelques années, le second plus récemment. Tous deux également exilés. Ils ont l’air de tenir le coup. De l’autre côté de la place, il y a peu, le ginkgo faisait un tapis d’or aux passants. Un beau soir, un artiste de rue lui a donné la réplique. Depuis lors, ne reste que sa fresque – De quoi rêvent les arbres ?

Un sapin isolé se dresse sur une montagne aride du Nord. Il sommeille ; la glace et la neige l’enveloppent d’un manteau blanc. Il rêve d’un palmier qui là-bas, dans l’Orient lointain, se désole taciturne et solitaire sur les pentes d’un rocher brûlant.
H. Heine (traduit par G. de Nerval).

– un midi de la semaine dernière, par un doux rayon de soleil, une grappe de jeunes pique-niquait sur les marches de l’église, de retour du lycée. Leur fast-food préféré, en face, est toujours fermé
– invention impromptue, crise oblige, ce laboratoire à vélos « solidaire et coopératif », installé dans un bâtiment désaffecté pas loin d’ici
– ces vélos et ce passant insouciant du tram d’Espion qui fonce droit sur lui – sur nous
– du côté des murs à pêches, cette vue cavalière de la ville maintenant recouverte par les photos de la caravane magique de Lolita Bourdet, qui s’est promenée ici, dans le quartier gitan

– au détour de la rue de la Convention, décidément riche d’imagination, un dialogue démocratique sur des questions économiques d’intérêt national et international

– à Paris, un jour de grande vadrouille, une image de celles qu’hier encore on nommait héroïnes, et le portrait d’une autre, que demain encore, on nommera bienfaitrice de l’humanité. Et puis cet œil, dans lequel je ne veux voir ni celui qui regardait Caïn dans sa tombe, ni celui qui défie le toréador, encore moins celui de Big Brother, mais celui, quelque peu égratigné cette année, de la Liberté brandissant son flambeau, un jour de grande colère. Et ce message qui lui faisait écho ce jour-là : « Je suis musulman. Je suis contre la violence. Je suis pour la liberté d’expression. »

… Encore une image de Noël ?

– La voici. Je ne fais pas de vélo, ou très mal. Hé bien au bout de la rue de l’église, quelqu’un (#loveplanet) a posé une affiche qui me représente à vélo, très à l’aise, de toute évidence.
– Si, si, je vous assure. Et je vous souhaite bon Noël à toutes et tous !

…Image de Noël, cette retraite aux flambeaux des sans-papiers de Montreuil, jusqu’au foyer de la rue Rochebrune ? Elle passait rue de Romainville, devant chez nous. « Solidarité » scandaient les manifestants !
…Image de Noël, à 1850 mètres d’altitude dans nos montagnes, ces gens qui arrivent à pied, d’Afghanistan (- « une colonne d’une vingtaine de migrants apparaît dans un sous-bois derrière un village de vacances désert, remontant laborieusement la pente dans une couche épaisse de neige fraîche », Libération, 15 décembre), et parmi eux des enfants, et une femme enceinte de plus de huit mois ? – Oui, ça y ressemble. Et aussi, image de Fuite en Egypte – l’épisode suivant, dans la même saison.

Oh par pitié, secourez-nous
Laissez-nous reposer chez vous!
Que l’hospitalité sainte
Soit accordée à la mère, à l’enfant!
Hélas, de la Judée, nous arrivons à pied!
L’arrivée à Saïs,
Livret de l’Oratorio L’Enfance du Christ, de Berlioz.


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