« le style du feuilleton délirant »

d’ici et d’ailleurs, 18
Montreuil, Paris, vendredi 30 octobre 2020

Aujourd’hui, premier jour de « reconfinement ».
Mercredi soir, la France entière était suspendue aux décisions du Gouvernement : ouvert-fermé- autorisé-interdit-restreint-réglementé… ? Aucune actualité semble-t-il ne pouvait le disputer à cette confusion, cette inquiétude générale – ni l’imminence de l’élection américaine, ni le naufrage de migrants dans la Manche. Médias, actualités rivées à nos incertitudes comme elles avaient pu l’être à nos certitudes, nos contradictions, avant l’irruption d’un virus aussi réel et incongru, imprévisible et universel que le cygne noir dont je vous ai parlé cet été. Et les manifestations de quelques autres incongruités.

Un oranger sur le sol irlandais
On ne le verra jamais
Un jour de neige embaumé de lilas
Jamais on ne le verra…

chantait Bourvil dans une Ballade irlandaise, en 1958.
Pas si sûr.
Depuis, nous avons changé tout cela.
À l’entrée de la rue de Romainville, juste devant le Gramophone, il y a un jeune cerisier. Fin septembre, voilà qu’il a fleuri dans le ciel bleu.

…Nous aimions les nuages. Les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! L’interdiction d’interdire. Et si on nous dictait, nous imposait de faire ou subir bien des choses, jamais, au grand jamais, nous n’aurions pu imaginer qu’un jour quiconque se mêlerait de nous dire où, quand, ou quoi penser, imaginer, désirer…

Hé bien.
Au début du mois, dans le TGV, je rêvassais en regardant le paysage, du côté d’Aix en Provence, quand tout d’un coup, de l’autre côté  du couloir, une inscription sur la fenêtre a presque fait disparaître la garrigue, et les nuages avec.

…Jamais on aurait cru pouvoir se promener dans des sous-bois, couler au creux des rivières ailleurs qu’en rêve. Ou dans les bois, dans les rivières. Ou bien dans les livres, les films, les images…

Plus maintenant.
Prodige de la SNCF, qui dans le hall 1 de la gare de Lyon, nous transporte dans des univers dits « biophiles ». Et régénère ses personnels dans les salles de détente hermétiquement closes, mais dotées de ces « fausses fenêtres » qui « amènent l’extérieur à l’intérieur. »

Jamais on n’a vu vu vu
Jamais on n’verra ra ra
La queue d’une souris ri ri
Dans l’oreille d’un chat cha cha

…Jamais nous n’aurions cru possible de voir un jour désertes les terrasses parisiennes, et des quadrupèdes s’y attabler à notre place.

Et pourtant.
Depuis le printemps dernier, des bisounours squattent le sanctuaire des trottoirs, à l’angle du boulevard Saint Michel et de la rue Médicis. La semaine dernière, ils étaient toujours là.

…L’autre soir donc, rien ne semblait pouvoir l’emporter dans nos esprits sur cette confusion générale d’un « reconfinement » probable, puis celle plus grande encore, d’un « reconfinement » qui commencerait aujourd’hui .

– Hé bien si.

Hier matin, un homme a assassiné (égorgé, derechef) trois personnes dans la basilique Notre Dame de Nice en criant « Allah Akbar ».

À Montreuil, l’église Saint Pierre-Saint Paul reste fermée aujourd’hui, pour raisons « sanitaires et sécuritaires », mais elle ouvrira ses portes à 180 fidèles demain soir, pour une messe de la Toussaint anticipée. La Grande Mosquée Al Oumma, elle, est fermée ce soir, à l’heure de la ‘Isha. Elle le restera jusqu’au 1er décembre, pour cause de Covid. Suspendus en présentiel, les cours coraniques seront remplacés par des conférences par zoom.

« On a pu écrire que ce siècle était une invention de Fantomas. C’est fort probable et tout continue à le prouver. Il a le style du feuilleton délirant », écrivait Alexandre Vialatte au siècle dernier, dans « Le siècle d’Ubu et de Fantomas » (Antiquité du Grand Chosier). Pour preuve, le cas de Mademoiselle Sourisseau : « Elle se suicide au gaz après avoir écrit « Maintenant que j’ai fait piquer mon chat, rien ne me retient plus à la vie », mais elle ajoute en post-scriptum : « je mets mon poisson rouge devant la porte, sur le paillasson, pour qu’il ne soit pas intoxiqué » (…) Et c’est ainsi qu’Allah est grand. »

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