les croisières du Ponant et « nos îles sauvages et préservées »

d’ici et d’ailleurs, 13
Hoëdic, Houat, 14 septembre 2020

Isabeau se promène, le long de son jardin
Le long de son jardin, sur les bords de l’île
Le long de son jardin, sur les bords de l’eau
Sur les bords du ruisseau

La semaine passée, je me promenais sur les bords de l’île, du côté du soleil levant. J’ai commencé à dévaler la dune, vers cette plage d’En Tal qui se termine là-bas par le Rocher du Lion, puis Er Geneteau…
…et
– Il était là, le mastodonte – un immeuble de plusieurs étages. Tout seul, pas loin de La Vieille, là où on a dispersé les cendres de Guiton, le patron de l’Enez Houad, il y a longtemps. Et je me suis souvenue qu’on était mercredi. Le jour du paquebot à Houat. Le lundi, c’est Hoëdic.
Sur la plage déserte, en bas de la dune, une demoiselle bon chic s’affairait entre les rochers. Une caméra y était plantée, visait le navire.
– J’essaie d’avoir les petits oiseaux me dit-elle, mais ils s’envolent tout de suite, je n’y arrive pas.

Elle fit la rencontre, de trente matelots
De trente matelots, sur les bords de l’île…
…Le plus jeune des trente chantait une chanson…
…La chanson que tu chantes, je voudrais la savoir
Je voudrais la savoir, sur les bords de l’île

Au bout d’un moment à regarder sa caméra, son sweet-shirt rayé bleu et blanc et le navire insolite, à regarder cette plage où depuis toujours, je regarde la mer et des enfants rieurs et pataugeurs, tandis que rentrent au port, longeant le rivage, chaque année moins de barques de pêcheurs – je suis allée vers elle.

– Vous travaillez pour le bateau, non ?
– Oui, me dit–elle fièrement. Et il y aussi une photographe. On valorise la croisière.
On discute.
– C’est la compagnie des Croisières Ponant, la seule qui envoie des navires en Antartique, vous avez dû en entendre parler ?…  Celui-là, c’est le Jacques Cartier. Le plus nouveau, le plus écolo de tous. On est cent pour cent clean, on dessale même l’eau de mer et on recycle nos eaux usées. Zéro pollution.
– Mais tous ces touristes ?…
– Presque rien ! Tout petit paquebot. Seulement 180 passagers. Pas comme les usines à touristes. Pas comme votre navette qui vomit chaque jour des flots de gens, ça par contre c’est terrible. Vraiment terrible.
– Mais on est 150 sur la navette, pas plus, et vous 180, sans compter l’équipage !…
– Oui mais les passagers restent à bord, on en débarque 30 à 40, pas plus ! Et puis on leur fait un petit topo sur l’île, c’est culturel.
– Vous savez qu’ici, sur les îles, tout le monde n’est pas ravi de vous voir arriver ?
– Ah, mais quand on discute avec les gens, on leur explique, et ils comprennent tous, ils sont tout de suite convaincus !
La demoiselle attrape sa caméra, et part d’un bon pas retrouver son équipage.

– Ils ne nous apportent rien, me disait avant-hier une restauratrice d’Hoëdic.
– Ils ne font que passer, et puis terminé, me dit aujourd’hui un Houatais.
– Quel gâchis ! Quelle énergie consommée, toutes ces lumières, tout ce tralala, me dit un autre.
– Ce genre de tourisme est obsolete, me dit ce soir une Houataise, que j’ai vue toute petite courir sur cette même plage où elle a grandi. Et puis ce bateau, ici en face de nous, c’est indécent.

En barque, dans ma barque, je te la chanterai
Je te la chanterai, sur les bords de l’île…
…En barque dans la barque, il se mit à chanter
Il se mit à chanter, sur les bords de l’île…
…En barque dans la barque, elle se mit à pleurer…

Début juillet, la veille du jour où le paquebot devait faire sa première apparition, c’était branle-bas de combat sur l’île. Il y avait ceux qui voulaient savoir comment la compagnie avait négocié ça avec la municipalité. Ceux qui prévoyaient l’invasion des touristes. Ceux qui voulaient aller manifester au port.

– La manif est tombée à l’eau, car les passagers ont été livrés par zodiaque sur une plage où on ne les attendait pas.
Et aujourd’hui encore, personne ne sait au juste comment s’est mise en place cette croisière d’île en île, si les communes en tirent quelque avantage…
…Mais les îles ont bien été envahies cet été. Pas par la croisière hebdomadaire, non, mais par tout un chacun, comme partout cet été, par milliers, en navette, en vedette ou en bateau de plaisance.

– L’ile n’est pas faite pour accueillir tant de gens, dit-on à Hoëdic.
– L’ile n’est pas faite pour accueillir tant de gens, dit-on à Houat.
C’est vrai.

…En barque dans la barque, elle se mit à pleurer.
Elle se mit à pleurer, sur les bords de l’île…
…Pourquoi pleures-tu, la belle ?…

..Ô uccellaci et uccellini ! Grands et petits oiseaux du bon dieu !
Comme vous aviez raison de ne pas entrer dans le cadre !
La caméra capte le-bateau-vu-de-la-plage, pour la terre entière.
Preuve que le « sublime navire » hante nos îles « sauvages et préservées », qui « distillent leurs charmes naturels » – de 5000 à 14 000 euros la semaine (5 étoiles, prestations de luxe, 112 membres d’équipage.)

En remontant sur la dune, j’ai réalisé tout d’un coup que chaque été, depuis 3 ans, j’ai le même choc en arrivant à la gare maritime de Quiberon : la grande affiche qui vend l’île de Houat, pour les passagers de la navette, c’est à s’y méprendre la photo que j’ai prise si souvent, depuis toujours – des enfants qui courent sous le soleil, sur ce sentier exactement, entre les immortelles, et les tout petits qui crient « La mer ! La mer ! »
La dernière fois, c’était au début de l’été.

Ceci encore :
Je demande à la demoiselle à la caméra, l’itinéraire du navire.
– Il part de Saint Malo me dit-elle, puis s’arrête à…. – Bréhat ? – Oui,  puis à… Groix, puis le Golfe du Morbihan, Houat, puis Ouessant, puis Belle-île, et Nantes…
– Ouessant ? Mais Ouessant est à l’ouest ! Et ici on est plein sud !
– Ah bon ? Ah je ne sais pas exactement, je regarderai ça sur le bateau.
…Une croisière  dans les îles du Ponant ? Un paquet d’îles en vrac. Complètement à l’ouest. Ou au sud, ou au nord, et pourquoi pas à l’est. Qu’importe.

Laisser un commentaire