d’ici et d’ailleurs, 4
Lézinnes, le 31 mai 2020
Depuis lunes abandonnées et naissances à re-mourir
Nous reviendrons
inexilés
Le sang volcan peuple
Plus fort que le silex
Paul Wamo*
Cette semaine, grande nouvelle pour celles et ceux qui s’intéressent aux collections d’objets témoins des cultures du monde, rassemblées dans des musées, et aux créateurs d’aujourd’hui à travers le monde : un nouveau directeur a été nommé à la tête du musée du quai Branly – Jacques Chirac, « l’un des plus grands musées du monde entièrement dédié aux cultures et aux arts non occidentaux ». C’est un homme, de père kanak, de mère française, et il travaille depuis longtemps au musée. Avant, il a dirigé le Centre culturel Tjibaou à Nouméa, dédié aux cultures du Pacifique sud. Notre amie Claire Merleau-Ponty, qui le connaît bien pour avoir travaillé à ses côtés à Nouméa (elle a créé les espaces, les outils et les activités dédiés aux jeunes publics)** m’écrit : « Géniale la nomination d’Emmanuel. Symbolique forte, homme hautement biculturel, déterminé et tolérant. » Alors, tous nos vœux à Emmanuel Kasarhérou.
Quant à celles et ceux qui à travers le monde, travaillent à la réappropriation des objets de musées et à leur restitution, ils sont particulièrement attentifs à cette nomination. Pour ma part, je rêve que non seulement de grands objets de pouvoir, des objets de haute valeur spirituelle soient restitués aux peuples qui les ont conçus et qui les ont fait vivre, mais aussi des objets modestes de la vie quotidienne, vivants objets dépositaires eux aussi de savoir-faire, de mémoire et de sens – comme ces instruments de musique, ces objets magiques, ces poupées d’Afrique de l’ouest, auxquels je me suis plus particulièrement intéressée, au sein d’équipes et d’associations d’ici et d’ailleurs.***

– Et le drapeau tricolore, en pays kanak ? Il flotte sur le monument aux morts de Nouméa. Cet ancien TOM est français depuis 1853. Les Kanaks sont restés assujettis au régime de l’indigénat jusqu’en 1946. Sur le site de la Mission du centenaire de 14-18, on peut lire que sur les 1047 citoyens français de Nouvelle Calédonie recrutés en 1914, 193 sont morts pour la France, et 382, sur les 978 Kanaks embarqués comme « engagés volontaires » en juin 1916. « Les pertes sont respectivement de 18,6 % pour les Européens et de 35,34 % pour les Kanaks qui sont donc ceux des indigènes français qui ont donné le plus leur sang pour la France. »*****
Le 4 octobre, un nouveau référendum sera organisé : la Nouvelle Calédonie doit-elle, ou non, accéder à la pleine souveraineté ? (En 2018, plus de 56% des électeurs avaient répondu non). En attendant, la moitié des 212 924 électeurs y a voté aux élections municipales.
Dans ce coin de Bourgogne, à 16 740 kilomètres du pays kanak, le drapeau français ne flotte pas seulement sur les bâtiments publics. Il s’attarde longtemps après le 8 mai, au monument aux morts de ce petit village. Il résiste, au milieu des topiaires soigneusement taillés, dans ce bouquet de plantes vertes qui ne pourriront pas, au pied de cet autre monument. C’est le 8 mai 45 qu’on célèbre, mais c’est toujours aussi la mémoire de la guerre de 14 qu’on honore. Comme partout en France, ce sont les morts de la Grande Guerre qui sont les plus nombreux. Dans notre seul village, 48 pour près de 800 habitants à l’époque.
À quelques mètres de notre maison, de l’autre côté de la cour, Jésus en personne, entouré de poilus, tend une couronne à la Pietà qui sous ses pieds, lève la main vers le ciel : une mère – ou une veuve, un soldat mort sur ses genoux. « Il vit toujours », dit le vitrail.
Sur le tableau accroché dans la mairie, six drapeaux tricolores autour du coq gaulois. Le coq… il surmonte par ici bien souvent les monuments aux morts, comme les clochers des églises où il sert de girouette. Mais on ne l’entend plus guère chanter.
À 3 km d’ici, dans un tout petit village, le drapeau tricolore flotte d’un bout de l’année à l’autre, accroché au toit d’une maison. Je passe par là, l’autre jour vers midi, et les grenouilles qui coassent à ne pas pouvoir s’entendre dans le jardin d’à côté soudain se taisent. Un monsieur est sur le pas de sa porte. Nous parlons de son drapeau : – Je suis patriote, moi. J’ai fait la guerre d’Algérie, 2 ans, bataillons spéciaux chez les tirailleurs algériens. Les Arabes moi je les connais. Je ne suis pas raciste, mais. Ici s’il y a une guerre vous verrez, il n’y aura plus personne. On n’est plus chez nous. etc.

…Argentenay, Vireaux, Ancy le libre, Pacy, Argenteuil… Les 5 villages de moins de 200 électeurs qui nous entourent ont voté Le Pen à 42, 47, 49, 66 et 67 % au 2è tour des dernières présidentielles. Dans notre village (533 votants), à plus de 50%. Et dans les deux petites villes voisines, Tonnerre et Ancy le Franc, à 41 et 48%.
Un revenu médian inférieur à la moyenne nationale, 8% de chômage, plus de médecin, une population vieillissante… Et aussi les commerces, les services publics qui disparaissent ou se restreignent, les exploitations agricoles dont le nombre n’a cessé de diminuer depuis tant d’années… Les statistiques disent beaucoup, mais elles ne disent pas tout. Il y a aussi le silence et la méfiance, avec ou sans virus. Sans parler des haines, des jalousies, et des gens qui ne se causent plus au sein d’une même famille, depuis tant et tant d’années.
*…ÉkoooO…, Centre culturel Tjibaou, MQB 2013
** 2001 : « Cultures et centre culturel en Nouvelle-Calédonie », in Publics et Musées n°15, janvier-juin 1999 https://www.persee.fr/doc/pumus_1164-5385_1999_num_15_1_1319
2001 : « Concevoir et réaliser une exposition pour un public jeune dans un contexte particulier : l’exemple d’une expérience au Centre culturel Tjibaou » in L’évaluation, recherche appliquée aux multiples usages, ICOM-CECA, éd. Colette Dufrene-Tassé, Paris, 1998 :http://archives.icom.museum/biblio_young.html
*** http://naissanceethnologie.fr/exhibits/show/objets-vivants
https://laviedesidees.fr/Retour-sur-la-Mission-Dakar-Djibouti.html
****Version originale du drapeau kanak*, cousu à la main par les femmes du mouvement, novembre 1982. ADCK/Centre Tjibaou, Nouméa, Nouvelle-Calédonie/Eric DELL’ERBA






