chronique montreuilloise
lundi 4 mai 2020
Tuggi kement yehlulen…
La neige s’est entassée contre la porte
L' »ihlulen » bout dans la marmite
Le tajmaât rêve déjà au printemps
La lune et les étoiles demeurent claustrées
la bûche du chêne remplace les claies
La famille rassemblée
Prête l’oreille au conte
Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva
Je t’en prie père Inouba ouvre-moi la porte
O fille Ghriba fais tinter tes bracelets
Je crains l’ogre de la forêt père Inouba
O fille Ghriba je le crains aussi.
Il est mort hier à Paris, Hamid Cheriet, le fils d’un berger du village d’Aït Lahcène dans les montagnes du Djurdjura, et j’ai du mal à y croire. C’est Mohand qui nous avait fait connaître A Vava Inouva, avant même sa sortie en France : ouvrier à Paris, il apprenait alors à lire et écrire en français. L’été 1971, il nous avait invités dans son village, pas loin de celui d’Idir. Les femmes posaient leurs mains sur mon ventre en riant, s’étonnant qu’à vingt ans, je n’aie pas encore d’enfants. En fait, tu étais déjà là, Hélène, mais je ne le savais pas encore. En parcourant les montagnes, nous buvions l’eau pure des sources, ton père et moi. En 1975, Idir s’est exilé en France, définitivement.
À Montreuil, en France, en Algérie et ailleurs, avec nos amis kabyles nous perdons plus que l’un des artistes qui incarne l’expression culturelle berbère, l’un des premiers à l’avoir fait connaître à travers le monde. Celui qui chantait les printemps kabyles, les printemps noirs. Celui qui chantait avec Lounès Matoub. Nous perdons aussi celui qui était d’Ici et d’ailleurs. Qui chantait avec Enrico Macias le Juif berbère de Constantine, avec Patrick Bruel le Berbère juif de Tlemcen.*
Matoub Lounès, le chanteur-poète-militant kabyle a été assassiné le 25 juin 1998 près de Tizi Ouzou. Dans le Bas-Montreuil, un centre social de quartier porte son nom. En temps ordinaire, des écrivains publics y tiennent une permanence, comme la caisse d’allocations familiales et la caisse régionale d’assurance maladie. On peut y rencontrer le pôle Solidarité Prévention Expulsion, et aussi l’association interculturelle Grdr (migration – citoyenneté-développement), pratiquer des activités multiples, ou participer à des évènements. Comme toutes les autres maisons de quartier, le centre Lounès-Matoub est fermé.
– Comment les usagers de cette Maison s’en passent-ils aujourd’hui ? Que deviendront, au delà de ces semaines de silence, d’invisibilité, de distance et de séparation, tous ces auteurs, ces musiciens, ces artistes, toutes ces associations, ces structures qui, jour après jour, mènent le combat d’Idir ? À Montreuil, la liste est longue des actions, des créations qui ont été étouffées par le Covid 19. Combien de concerts, d’expos, de pièces de théâtre, de films, de livres et d’évènements, qui depuis la mi-mars devaient proposer à tous, dans les quartiers, de se retrouver, d’échanger en s’ouvrant au monde ? Comme cette Semaine d’éducation et d’action contre le racisme et l’antisémitisme, par exemple, qui devait se tenir du 17 mars au 3 avril, des bibliothèques aux centres culturels de quartier ou au cinéma Le Méliès, et célébrer La France des couleurs chantée par Idir en 2007.

Dehors la neige habite la nuit. L’exil du soleil a suscité nos frayeurs, nos rêves…
… C’est en vain que dehors, la neige habite la nuit.
Mouloud Mammeri. Pochette de la première édition de A Vava Inouva.




