Montreuil sur mer

chronique montreuilloise
mercredi 29 avril 2020

La tempête de la nuit a accumulé une énorme masse de varech à la pointe de la grande plage. Cela n’a l’air de rien, d’écrire cela, et pour moi, c’est le plus important, c’est Tout.
Henri Thomas, Le migrateur.

Hier, le Premier ministre a présenté les mesures du déconfinement à partir du 11 mai, mesures aussitôt adoptées par l’Assemblée. E la Nave va…
À Montreuil, chacun sait depuis un moment que ce ne sera pas le même jour pour tout le monde. Et que dans le 93, les plus fragiles, les plus démunis, les plus exposés – au travail, dans les transports ou les logements sont aussi ceux qui « paient le plus lourd tribut », comme disent les médias.
Depuis des semaines, autour de nous, beaucoup sont tendus vers cet après vertigineux. Plongés dans un abîme de perplexité, quant au retour ou pas des enfants à l’école par exemple, ou aux contacts intergénérationnels au sein des familles – tandis que d’autres ( – des chômeurs, des auto-entrepreneurs, des intermittents… certains retraités, sans parler de ceux-celles qui sont employés dans une boîte en train de couler) ont l’impression grandissante d’être en CDI avec le néant.
– Mais le pire, c’est ce que nous rappellent les sirènes, trop nombreuses toujours dans le silence un peu moins dense des jours et des nuits, et que résumait hier le blog de Nicolas Camiletto, étayé par les statistiques de l’INSEE : En pleine crise, les habitant.e.s de Seine Saint-Denis paient de leurs vies les conséquences de décennies d’abandon des services publics.

**https://blogs.mediapart.fr/nicolas-camilotto/blog/280420/un-virus-de-pauvre-en-seine-saint-denis-les-vies-valent-moins-qu-ailleurs

En arrivant à Quiberon, il soufflait une de ces tempêtes à ne pas tenir face au vent, qui font dire au voyageur, une fois au chaud dans sa chambre, la clé tournée, tandis que le vent siffle autour du phare : « Ils ne m’auront pas. » – Qui sont-ils ? Chacun a les siens. Pour moi, c’est simplement (? ) « les autres ».
Henri Thomas, Le Migrateur

En plein centre ville, à deux pas de la mairie, la courte rue de l’église est un miroir peut-être déformant de notre quotidien, mais un reflet sans doute assez fidèle de tropismes locaux.
Dans les années 80, on y trouvait absolument tout – du fleuriste au traiteur en passant par la boucherie chevaline, le tripier, le marchand de journaux et le marchand de couleurs. Avec bien sûr une belle poissonnerie, et une boulangerie qui vendait l’un des meilleurs pains du quartier. Puis, la rue a périclité. Les commerces de bouche ont fermé les uns après les autres, entre quelques boutiques aussi tristes que désertes, société de sécurité, agence immobilière – et la maison des femmes, créée en 2000. Seuls résistaient le bar-tabac-pmu, la boutique de fruits et légumes tenue par trois frères venus d’Algérie, d’une rigueur exemplaire, et bien entendu la boutique de téléphonie. Ils sont toujours là.
– Et voici que depuis une dizaine d’années, la rue lentement se réveille. Deux kebabs, deux coiffeurs, une supérette puis deux librairies et un tatoueur se sont installés, un traiteur asiatique, un restau japonais puis une cantine bobo ont remplacé notre cantine chinoise familiale, puis une boutique de fringues africaines chic, un « archi-boucher » (le patron était architecte), et deux épiceries écolos ont ouvert pour la clientèle la plus fortunée du quartier. Et, consécration ultime : l’implantation d’une boulangerie bio, le Fournil éphémère.

Avant-hier, c’était jour faste : comme la semaine dernière, le restau du coin et le japonais d’en face vendaient leurs plats cuisinés au guichet – mais alors qu’un caviste tombé du ciel inaugurait le seuil de sa boutique place de l’église, les deux librairies entr’ouvraient enfin leurs portes, via les commandes internet.

*** https://www.ouest-france.fr/mer/peche/reportage-cotes-d-armor-saint-quay-portrieux-la-criee-tient-la-barre-malgre-le-gros-temps-6817556

Aujourd’hui est un jour mémorable : en plein marasme, tandis que la plupart des boutiques de la rue restent fermées, que les commerces alimentaires affichent des horaires restreints, et que de la Manche aux îles du Ponant, la pêche tangue encore sévèrement, une poissonnerie jaune canari – hommage peut-être aux cirés qui luisent sur les ponts sous le grain breton, une poissonnerie a ouvert ses portes ce matin à 11h, rue de l’église. J’étais sa 2ème cliente.
Deux jeunes gars en bottes de caoutchouc servent des poissons pêchés hier et apportés ici cette nuit. Ils travaillent en direct avec une poignée de marins d’Etel, Batz, La Turbale, Le Guilvinec et Quiberon. Pêchés par Hervé à bord du Coucou, au large de Quiberon, les merlans que nous partagerons religieusement ce soir frétillaient encore hier entre Belle-île, Houat et Port Maria.
Au mur de la poissonnerie Montreuil sur Mer, inoffensive et exotique dans sa niche, veille une vierge de Lourdes qui en a vu d’autres. En guise de Sainte Anne j’imagine, la Mamm gozh ar Vretoned, qui sait toujours y faire en cas de gros temps.

O rouanez karet en Arvor, O Mamm lan a druhe
Ar en douar ar er mor, gouarnet ho pugale
.
O reine aimée de l’Arvor, O mère pleine de bonté,
sur la terre et sur la mer, protège tes enfants!…

En revenant de la rue de l’église, le glas sonnait. Dix personnes masquées se tenaient devant le porche avec le curé. Parmi elles, un officier en uniforme qui je crois, pleurait, et un vieil homme appuyé sur sa canne.

J’aime la terre déchiquetée des îles, la plénitude qui vient de l’union de la mer et des fragments de terre émergée… Longtemps je vivrais là, vieillissant, c’est à dire aimant encore tel objet, beaucoup de choses, un corps baigné de mer et de soleil. Puis le souvenir de ces choses… Puis les rêves du souvenir, qui peuvent être nouveaux, tournant comme les feux de la Teignouse.
Henri Thomas, Le Migrateur

sur l’ile de Houat, vers le sud-ouest.


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