chronique montreuilloise
mardi 28 avril 2020
Il court il court, le furet, le furet du bois Mesdames
Il court il court, le furet, le furet du bois joli…
– Je trouve que tu cavales beaucoup, pour une confinée, m’écrit François l’autre jour…
– Pas du tout! Cependant… J’ai souvenance… que tel jour, à telle heure, j’ai dépassé un peu la distance autorisé. Et puis peut-être tel autre, aussi… Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net.
Ma peccadille sera-t-elle jugée un cas pendable, comme celle de l’âne de La Fontaine ? (Les Animaux malades de la peste, convoqués au jour 1 de cette chronique.)
Par ici en tout cas, personne ne criera haro sur le baudet.
Petit florilège des transgressions ordinaires, collectées dans la ville confinée de Montreuil sous bois, quartiers Centre ville, Bel-Air-Grands Pêchers, Jean Moulin-Beaumonts, La Noue-Clos Français, Signac-Murs à pêches, Solidarité-Carnot, Villiers-Barbusse, du 17 mars au 28 avril :
– sortir chaque matin acheter une baguette fraîche, juste une baguette, avant de la placer quelques secondes dans un four tiède en s’imaginant la décontaminer
– profiter de l’heure allouée pour marcher 6 km en ligne droite aller-retour au lieu de faire 6 fois le tour du pâté de maison
– faire un saut chez des voisins qui ont un jardin sans toucher le portail et à distance réglementaire pour y prendre un bain de soleil
– faire durer le bain de soleil pendant 3 heures et en profiter pour prendre un café et cueillir des fleurs
– s’aventurer masqué une nuit à 50 pas de chez soi pour fêter un anniversaire chez 2 amis en apportant sa bouteille et ses verres, y rester une demi-heure et ne s’échapper qu’une fois que la voisine épieuse s’est lassée de surveiller la porte d’entrée
– accueillir un voisin éloigné (de 6km) venu à vélo prendre un petit-dej à 8h du mat un dimanche par discrétion et se retenir de l’embrasser
– partir un beau matin de mars en TER pour fuir incognito une semaine à la campagne et en revenir tout aussi impunément en train, nuitamment, après avoir traversé les vignes incendiées par les feux anti-gel pour rejoindre la gare de Laroche-Migennes et de là, la gare de Bercy
– persister à remplir ses attestations de sortie sur papier et non sur son portable
– remplir chaque jour la même attestation-papier au crayon, chaque jour gommer, et recommencer
– recevoir sur un coin de table du jardin ce jeune prodige capable de restaurer whatsapp sur votre téléphone
– remplir deux attestations, l’une pour l’aller l’autre pour le retour en cas de sortie prolongée, par exemple pour distribuer aux amis les masques qu’on vient de fabriquer
– anticiper le confinement dès le 25 avril en buvant un verre sur la place du marché avec d’autres trentenaires de votre espèce en attendant ou en faisant semblant d’attendre la pizza commandée chez Alimentari
…sans oublier bien sûr, depuis le 17 mars, une transgression collective massive, avec la bénédiction de la municipalité : se balader dans un parc naturel fermé au public, en ordre dispersé et muni de son attestation.
Il suffit de passer le pont
C’est tout de suite l’aventure
Laisse moi tenir ton jupon
J’t’emmène visiter la nature
Georges Brassens, Il suffit de passer le pont
Aventures du coin de la rue, aussi partagées que les débrouilles, les coups de mains et bricolages qui constituent le réseau de voisinage auquel, après 35 ans dans le quartier, nous avons le privilège d’appartenir.
Avant, il y avait les appels à l’aide toujours entendus, en cas d’urgence ou de tâche insurmontable – hébergements, courses, jardinage, soucis informatiques, gardiennage ou soins des animaux – sans oublier l’organisation des festivités. La mutualisation d’outils indispensables (la boucheuse qui va de Fred à Siméon en passant par ici, lorsque le vin est livré), les trocs, pieds de tomate contre boutures de rosier (mais aussi – tu me les prends samedi soir et je te les garde dimanche toute la journée…)
Depuis le 17 mars, de nouveaux liens se créent dans le voisinage, de nouvelles pratiques : ceux qui le peuvent s’investissent dans des actions de solidarité, multiplient les « groupes » pour s’envoyer des infos, des blagues, des coups de gueule, pour se soutenir, déploient des trésors d’imagination pour s’occuper de leurs enfants, s’occuper – en plus de leur travail, et de leur vie associative. Des activités sont à la mode : tresser des palissades, se faire un bon film le soir… Assez nombreux dans cette zone en partie pavillonnaire, les jardins restent plutôt privés, mais tout le monde profite des floraisons qui débordent des murs, à profusion.
– Et si on agrandit le cercle au quartier qui nous entoure? – De loin en loin, mais continûment depuis le début du confinement, quelque chose du dedans qui y restait enfermé, s’expose au dehors. Ici, d’un appartement à l’autre, on a tendu une même guirlande. Là, on exhibe les créations des enfants. Un peu partout, les mercis et les protestations s’affichent, insistants.

Et plus loin ? Rien que pour le domaine « Action sociale et solidarité », il y a 102 associations à Montreuil. Les gens qui par centaines, par milliers font vivre les réseaux associatifs habitent derrière ces murs, d’un bout à l’autre de la ville, et ils sont pour la plupart mobilisés. Les pages du Montreuillois sont remplies d’infos sur leurs actions.
Aujourd’hui, au bord des terrains vagues et des caravanes de la rue Saint Antoine, La Collecterie a fermé ses portes, comme le siège de l’association Le sens de l’humus, un peu plus haut. À l’entrée de la Cité de l’Espoir, le Fablab est fermé jusqu’à nouvel ordre. Tant et tant d’associations qui tentaient, avant, de réinventer un petit fragment du quotidien, sont aujourd’hui contraintes de se réinventer, d’imaginer de nouvelles formes d’interventions, de nouvelles sociabilités – tandis que surgissent des formes de solidarité tout à fait spontanées. – Comme la collecte de tissus, la création et la distribution de masques, ici comme partout : des jours durant, Matilde parcourt la ville, ramasse les étoffes, vérifie leur texture, en remplit sa voiture, et les porte à des couturières. Quand elle est passée ici, la semaine dernière, je n’étais pas fière : près de la moité des tissus que j’avais rassemblés étaient impropres à la réalisation des masques.

Photographies :
1 – marquage devant un Super U, contrôle Croix de Chavaux, Anne chez elle (merci Anne!), square fermé
2 – décors et banderolles rue Danton
3 – siège fermé du Sens de l’humus rue Saint Antoine, affichage, Fab Lab fermé cité de l’Espoir, affichage à la porte de La Collecterie fermée.










