foulards

chronique montreuilloise
mardi 27 avril 2020

Nomade j’étais quand, toute petite, je rêvais en regardant la route, la blanche route attirante qui s’en allait, sous le soleil… nomade je resterai toute ma vie, amoureuse des horizons changeants, des lointains encore inexplorés, car tout voyage, même dans les contrées les plus fréquentées et les plus connues, est une exploration.
Isabelle Eberhardt, « Retour au Sud », Écrits sur le sable, T.1

C’est Sidi Mahmoud qui parle, alias Isabelle Eberhardt – Isabelle l’Algérien, comme l’appelle Leïla Sebbar. Cette européenne qui écrit au masculin et s’habille en homme, pour circuler librement. Mahmoud la musulmane qui parcourt le Sud algérien et y meurt à 27 ans, en 1904.

la grande mosquée Al Oumma, à Montreuil.

À la lisière de Rosny sous bois, à l’est de Montreuil, la grande mosquée fermée peut accueillir 1400 fidèles : 1050 hommes, et 350 femmes. Ou 700 fidèles – 500 hommes, et 200 femmes, selon d’autres sources.

Des femmes, j’en ai vu aujourd’hui autant que d’hommes, ici au centre ville, dans toutes les tenues, toutes les nudités et tous les voiles possibles – mais pas dans les deux cités voisines, où on les voit très peu, alors que beaucoup d’hommes y flânent ou font les courses.
Depuis quelques années, on croise parfois dans le quartier des femmes qui portent le grand niqab, souvent accompagnées de leur mari et de leurs enfants. Plus récemment, des femmes venues peut-être d’Afrique sub-saharienne, peut-être pas, noires couvertes de noir. Depuis le début du confinement, chaque jour davantage, des musulmanes en foulard adoptent le masque – blanc, ou coloré, personnalisé. Comme le hijab enferme leur chevelure, le masque obture leur visage sans barricader leur corps, ni même l’expression de leur coquetterie, si d’aventure elles sont coquettes. Le niqab, lui, les confine. Totalement.

Tu vas, ainsi étouffée, au marché, à l’hôpital, au bureau, au lieu de travail. Tu te hâtes, tu tentes de te faire invisible. Tu sais qu’ils ont appris à deviner tes hanches ou tes épaules sous le drap… Tu ne peux exister dehors : la rue est à eux, le monde est à eux. Tu as droit théorique d’égalité, mais ‘dedans’, confinée, cantonnée, incarcérée.
Assia Djebar, Vaste est la prison.

Vaste est la prison : Assia Djebar s’y adresse au peuple des cloîtrées d’hier et d’aujourd’hui. Elle raconte la genèse de son œuvre de cinéaste : au commencement, il y a le haïk, dans l’Algérie de son enfance. Le trou dans le haïk.

Corps femelle voilé entièrement d’un drap blanc, la face masquée entièrement, seul un trou laissé libre pour l’œil…
…Ce regard artificiel qu’ils t’ont laissé, plus petit, cent, mille fois plus petit que celui qu’Allah t’a donné à la naissance… ce regard miniature devient ma caméra à moi, dorénavant. Nous toutes, du monde des femmes de l’ombre, renversant la démarche : nous enfin qui regardons, qui commençons.

Une femme portant le costume de Bou Saâda, blanc et très simple, est assise… C’est Lalla Zeyneb, la fille et l’héritière de Sidi Mohammed Belkassem… Le marabout, sans descendance mâle, désigna pour lui succéder après sa mort son unique enfant, qu’il avait instruite en arabe comme le meilleur des tolba. Il préparait à sa fille un rôle bien différent de celui qui incombe généralement à la femme arabe, et c’est elle qui, aujourd’hui, dirige la zaouïa et les Khouans, affiliés de la confrérie.
Isabelle Eberhardt, « Retour au Sud », Écrits sur le sable

Sur la photo, dans la zouïa d’El Hammel, le visage de Lalla Zeyneb est découvert (je ne peux hélas pas agrandir cette image). Isabelle-Mahmoud raconte sa rencontre avec cette musulmane d’exception, qui assume pleinement un rôle d’homme – ça la-le fait rêver.

Finir dans la paix et le silence de quelque zaouïa du Sud, finir en récitant des oraisons extatiques, sans désirs ni regrets, en face des horizons splendides
Isabelle Eberhardt, « Retour au Sud », Écrits sur le sable

le paysage depuis la zaouïa d’El Hammel.

L’autre jour, j’ai croisé, sur la place de l’église, un homme élégant en costume, qui portait un chèche vert de 8 mètres, à la mode touareg. De son visage, on ne voyait que les yeux. Masque autant fait pour plaire, m’a-t-il semblé, que pour se protéger.

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