exception cultu(r)elle

chronique montreuilloise
vendredi 24 avril 2021

Sa’îd ibn al Mussayab dit qu’une personne seule qui se prépare à prier dans un endroit désert, des nuées d’anges semblables à des montagnes prieront derrière elles si elles lancent un appel à la prière et la iqâma ; sinon, deux anges prieront tout de même avec elle, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche.
Al-Ghazali, Les secrets de la prière en islam, trad. Eva de Vitray Meyerovitche & Tewfiq Taleb.

Aujourd’hui, premier jour du ramadan. Dans la presse, dans la rue, on parle beaucoup du ramadan festif (le ramdam du temps des colonies, celui qui dérange les voisins), un peu moins du reste.

Le Monde, 20 avril https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/20/prieres-a-domicile-repas-de-rupture-du-jeune-le-point-sur-les-recommandations-du-cfcm_6037227_3224.html 
Libération, 24 avril, https://www.liberation.fr/france/2020/04/23/la-pratique-religieuse-est-seconde-par-rapport-au-fait-de-preserver-la-vie_1786228

Comme d’habitude, certains commerces orientaux ont plié boutique jusqu’à ce soir. Et comme d’habitude, « l’arabe » ou « le kabyle » du coin, bien des employés des supérettes et autres supermarchés alentour travaillent toute la journée, en jeûnant comme la plupart des musulmans. Mais cette année, ils sont confinés chez eux comme tout le monde, et interdits de mosquée par directive du CFCM, Conseil français du culte musulman, qui donne aujourd’hui des recommandations en matière de ramadan confiné.

Il faudra donc imaginer ce soir, derrière les façades silencieuses, derrière les murs des grands ensembles, mais aussi derrière les carreaux de tant de pavillons, de résidences d’ici, toutes ces familles empêchées de festoyer en familles élargies, entre voisins, et de partager largement l’iftar, le repas de rupture de jeûne. Tous ces solitaires, jeunes travailleurs ou chibani privés des repas festifs déclinés chaque année par des restaurants des quartiers, et surtout, de ces banquets offerts par les mosquées et de nombreuses organisations musulmanes caritatives.

…Le sujet préféré et inépuisable des habitants de ce pays, c’est la bouffe.

– propos d’un chroniqueur gastronomique ? – Non, mais de Tahar Djaout (Les chercheurs d’os), dans une Algérie qui cherche encore ses morts juste après l’indépendance, et souffre d’une boulimie consumériste à laquelle les réveillons païens ou de toute obédience n’ont rien à envier.

En ce moment, il y a aussi le devoir d’aumône – le troisième pilier de l’islam, avec la profession de foi et la prière. Sans attendre l’aumône obligatoire de la fin du ramadan (la zakat el fitr, fixée à 7 euros par personne cette année en France, qui permet à tous les musulmans de fêter l’Aïd, la fin du jeûne),  l’appel aux dons affiché aux portes de chacune des cages d’escalier de la cité de La Noue atteste de ce que l’entr’aide se pratique ici, qu’on soit musulman ou pas : coordonné par la ville, il est massivement adressé aux quartiers populaires – on sait qu’il y est entendu. Quant à la générosité des familles musulmanes… Günther a la nostalgie des ramadans de Drancy : chaque soir,  il rentrait de son cabinet les bras chargés de victuailles et de  gâteaux.

La prière est le pilier central de la religion. Qui l’abandonne ruine sa vie religieuse, dit un Hadîth cité par Al Ghazali.

Une prière en commun (salâtu-l-jamâ’a) est vingt-sept fois supérieure à une prière individuelle, dit encore Al Ghazali.

Mais si la prière rituelle peut se faire n’importe où (- le Prophète l’a dit : La terre toute entière est une mosquée – on peut donc sacraliser tout espace pour y prier, dans sa chambre, dans la rue, ou en plein désert), en islam plus que dans d’autres religions sans doute, la prière en commun est désirable, et pendant le ramadan bien davantage encore. Les musulmans sont donc aussi privés du grand corps de la salât collective.

– Et la prière en commun virtuelle alors, comme les cathos ? Le CFCM recommande d’y recourir. Mais des imams s’affrontent sur ce point. Bouna Diakhaby à Epinay sur Seine, est contre, et semble-t-il, Tareq Oubrou, à Bordeaux, aussi.

Comme les autres lieux de culte musulman, la grande mosquée de Montreuil est close. Elle s’appelle mosquée Al Oumma, la « communauté des croyants » – l’Ecclesia, en somme. Fermée comme l’église Saint Pierre d’Antioche, église « catholique orthodoxe » de Montreuil (– une image de l’icône de la Théotokos s’aperçoit derrière les grilles) – et comme l’église évangélique « Vie et lumière », un algeco au milieu d’un terrain vague cadenassé du quartier des murs à pêches, c’est à dire du quartier gitan.

L’exception culturelle, ici, c’est l’église catholique romaine Saint-Pierre-Saint Paul (car la chapelle Sainte Marie, dans la cité de la Noue, reste elle aussi fermée), qui s’ouvre 1h chaque matin pour la prière individuelle – et dans laquelle, au lendemain de Pâques, on pouvait voir luire, dans l’ombre du chœur, l’habit de lumière d’un prêtre agenouillé devant l’autel.

église Saint Pierre Saint Paul, le 14 avril 2020.

Un avis sur « exception cultu(r)elle »

  1. Le seule problème par rapport au système précédent est qu’on ne peut – sauf incompétence de ma part – agrandir les images, qu’on voit mal. Bises

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